samedi 5 mai 2012

Voter sans être pris pour un âne 4 : Le coût du travail

Le travail  restera sans doute comme le sujet clivant de cette campagne présidentielle ; le sujet phare face auquel chacun doit choisir son camp. Libération propose une illustration intéressante et presque drôle de nos divisions sur la valeur Travail.

Nicolas Sarkozy a ainsi mis au cœur de sa rhétorique, pas de son action, la valeur travail (cf papier précédent) et a dévoilé son programme sur la notion de coût du travail dans cette phrase lumineuse :
"En France, le salaire n'est pas trop haut, il est trop bas. Augmenter les salaires et diminuer le coût du travail : voilà le défi immense des cinq années qui viennent."

Le président-candidat se fait donc défenseur de l'idée que le salaire individuel est limité par le poids du collectif, de l'Etat. La meilleure réponse au président a été donnée il y a quelques semaines par... Philippe Poutou dans des Paroles et des Actes dans un dialogue avec ce très cher Lenglet.
"M. Lenglet, il ne s'agit pas de charges mais de cotisations salariales ou patronales. C'est du salaire, du salaire différé."
Après avoir relayé cela, le risque de se faire traiter de communiste est important donc justifions-nous très rapidement par les chiffres pour défendre l'idée que le coût du travail n'est pas du tout le problème dans la comparaison entre économies développées.


Les écarts sont-ils importants entre pays développés ?
Le coût du travail en France est légèrement supérieur à l'Allemagne mais ne se trouve pas mal placé dans la comparaison à ses voisins européens.
Ensuite, dans la comparaison avec l'Allemagne, le coût horaire est corrigé par la productivité. La meilleure productivité des salariés français compense l'écart horaire. Enfin, les 35h ne sont que peu responsables de l'évolution de ce coût. C'est Philippe Poutou qui le dit ? Non c'est l'INSEE.
Benz, S., Coût du travail : l'INSEE fait de la désintox, Site L'Expansion, février 2012 
De plus, ces faibles écarts ne sont pas la cause principale du choix ou du refus d'un investisseur de s'installer en  France, 2ème pays pour les investissements étrangers en Europe. Et surtout, tous nos emplois ne sont pas exposés à la concurrence internationale. De nombreux emplois sont non délocalisables.
Godard, A., Meilleurs Voeux... pour un débat moins simpliste sur l'emploi, Site Alternatives Economiques, Blogs, janvier 2012.
Et enfin, de récentes études ont montré la faible corrélation entre le coût du travail et les exportations d'une économie. Un pays à faible coût du travail n'exporte pas forcément plus que ces concurrents moins "compétitifs". Les baisses de coût du travail dans certains pays sont purement des choix politiques voire idéologiques. Certains pays choisissant politiquement de baisser le coût du travail dans des ecteurs d'emplois non délocalisables.
Raveaud, G., Scoop : l'Espagne est aussi compétitive que l'Allemagne, Site Alternatives Economiques, Blogs, août 2012.
Voilà pour la base.


Maintenant, où va l'argent de nos charges ?
Arrêtons là tout net, le mythe d'un Etat dilapidant l'argent, les cotisations sont redistribuées aux citoyens ! 
Les cotisations correspondent à la part mutualisée de nos dépenses et celle-ci est importante. Le revenu moyen avant impôt est de 2800 euros par adulte et près de la moitié, 49%, est prélevée en cotisations sociales (1300 euros). Une partie est reversée directement par ce qu'on appelle les transferts sociaux en espèces : allocations diverses, prime pour l'emploi diront les libéraux ou les adversaires de l'assistanat mais la part la plus importante est bien constituée par les retraites, dont le versement est bien sûr différé mais qui ne sont pas redistributives (les salariés ayant le plus cotisé reçoivent des retraites plus importantes). Soit 600 euros en moyenne par couple. Puis vient les transferts sociaux en nature : l'éducation et la santé principalement mais aussi la sécurité, les transports... Soit 700 euros par français !
Landais, C., Piketty, T., Suez, E., Pour une révolution fiscale, janvier 2011.

Evidemment, ces allocations étant réorientés entre citoyens en fonction des revenus ou des cotisations, elles participent à la réduction des inégalités sociales. Les 20% les plus riches touchent 42% des revenus bruts et les 20% les plus pauvres 5%. Après redistribution sociale, leurs parts respectives passent à 36% et 11%. Mais par exemple, pour les transferts sociaux en espèces, les 20% les plus riches touchent 14 120 euros contre 5320 pour les plus pauvres; les retraites sont l'explication.
Ramaux, C., Eloge de la dépense publique, in Les Economistes Atterrés, Changer d'économie, janvier 2012.
Notons que les cotisations patronales sont des prélèvements sur la marge des actionnaires, sur des revenus de citoyens. Une entreprise étant fiscalement neutre. L'actionnariat étranger et l'évasion fiscale sont un biais à la démonstration, nous y reviendrons.


Mais ces cotisations sont-elles "trop élevées" en raison de "dépenses publiques trop élevées" en comparaison à nos voisins ?
Timbeau, X., Dépenses publiques en France : en fait-on trop ? Site de l'OFCE, mars 2012.

La France consacre une part de son PIB pour sa dépense publique stricte équivalente à celle de ses voisins européens, 18% et celle-ci est en récession depuis 20 ans. 10ème place de l'OCDE, moins dépensière que les Etats-Unis ou l'Italie. Surprise, non ? 
Pour la part plutôt faible de l'éducation, nous en avions déjà parlé dans un précédent billet.
Pour la dépense publique par transferts sociaux assurantiels, santé et retraite principalement, la France fait partie des Etats les plus dépensiers. Pourquoi ? Notre particularité française est que nous mutualisons nos frais de santé et notre système de retraite et cette mutualisation est le fait de l'Etat principalement.
 "L'Etat ??!! C'est terrible !!" Et bien non, et cela il faudra le répéter encore des dizaines de fois.
Nous consacrons par cette mutualisation une part moins importante de notre richesse (PIB) aux frais de santé que nos voisins. Le financement de la santé publique par la Sécu coûte moins cher aux Français qu'un financement privé ou par des mutuelles d'entreprises. Les frais d'administration représentent 20% des dépenses des mutuelles contre 5% à la Sécu.
Bulard M., Comment fonctionnent les systèmes de santé dans le monde, Le Monde Diplomatique, Février 2010.

Mais alors comment comprendre les politiques que nos dirigeants veulent mettre en place ?
La logique de nos dirigeants néolibéraux est de penser que la moins-disance fiscale et sociale ou les signes donnés aux investisseurs dans ce sens attireront les entreprises. Cette mise en concurrence de nos économies, soi-disant solidaires au sein de l'UE, amène à une modération salariale globale dont l'Allemagne est le premier défenseur. Logique singulière qui amène G. Schröder, chancelier allemand d'un pays comptant 18% de pauvres, à se féliciter devant le Forum de Davos en 2005 : "Nous avons créé l'un des meilleurs secteurs à bas salaire en Europe". De nombreux syndicats ont joué le jeu au nom du maintien de l'emploi mais se sentent aujourd'hui bernés; la part des salaires dans la richesse créée par l'entreprise n'a cessé de régresser et les gains de productivité sont allés à la rémunération du capital.
Dufresne, A., Le Consensus de Berlin, Le Monde Diplomatique, février 2012.

Tant que la part des profits dans la valeur ajoutée n'est pas limitée, cette logique néolibérale ne fait que dévaloriser le travail  au profit du capital. Mais F. Lordon va plus loin en affirmant que le souci n'est pas vraiment, ou pas que, ces 5 à 10% de revenus soient passés du travail au profit.
Lordon, F., Le paradoxe de la part salariale, Blog La pompe à Phynance, février 2009  

En effet, le profit du petit capital, des petits entrepreneurs, est lui aussi faible; celui des sous-traitants également, de sorte que l'écrasante majorité qui se déchire sur le thème du travail ne perçoit pas qu'une infime minorité profite du capitalisme actuel. Seul le haut de la pyramide maximise ses gains, ce qui nous renvoie aux travaux de Piketty et ses 1% les plus riches. Notre capitalisme définit cette distribution inégale des revenus par sa composante actionnariale (la recherche maximale du profit par l'actionnaire) et par sa composante concurrentielle (la concurrence forcément faussée entre travailleurs, entreprises, fiscalité de pays différents). Et pour cela, il s'appuie sur des structures jamais remises en cause politiquement: la libre circulation des capitaux, la non-limitation des rendements du capital, la contre-révolution fiscale, le libre-échange...

En conclusion, augmenter les salaires ne peut se faire par la diminution du coût du travail mais uniquement par la remise en cause de ces structures qui servent une logique d'aspiration de la richesse par une minorité.
Et à plus forte raison, s'opposer sur la valeur travail est une erreur, remettre en cause le coût du travail est un leurre et nous arrivons à une situation d'un cynisme absolu où les défenseurs de la valeur travail ont mis en place les structures de sa dévalorisation.


Vous êtes écœurés ? Ou vous vous dîtes que ces altermondialistes sont juste des communistes maniant bien les chiffres ? Vous restez persuadés comme X. Bertrand qu' "à l'avenir, il va falloir travailler plus !" ?  Très bien, alors une dernière référence s'impose. 
Certaines directives européennes permettent une baisse substantielle du coût du travail, par l'appel à une main d'oeuvre étrangère, employée d'une société de travail intérimaire étrangère payant les cotisations sociales dans le pays d'origine. Et ça, bizarrement, dans une campagne où la peur de l'étranger a dominé, nous n'en avons que peu entendu parler.