dimanche 8 avril 2012

Notre Ecole est suffisamment mal en point (3)

Dernière partie après les résultats et l'aide aux élèves en difficulté, les sujets de discorde

4.  "Passer d'une logique de moyens à une logique de qualité":  
le discours politique qui rend fou

Un fonctionnement bien difficile donc. Mais de l'extérieur, les débats entre professionnels de l'éducation et responsables politiques peuvent être compris  comme des dialogues de sourds entre les uns réclamant plus de moyens, et les autres répondant que l'important est de changer de méthodes jugées "dépassées, obsolètes".
Donc deux questions pour finir le côté pédagogique de notre bilan:
- est-ce que nos moyens, nos coûts de scolarité sont si élevés ? Nos enseignants sont-ils si nuls s'ils coûtent cher pour de si piètres résultats ?
- Enfin, la question des méthodes, mais là, ne prenons pas de gants : comment le ministère peut aujourd'hui faire croire qu'il s'intéresse à la question des méthodes, à la qualité des cours donnés aux élèves ?

4.1 Des coûts d'enseignement faibles

Pour la première, citons mot pour mot Claude Lelièvre, historien de l'éducation:
Lelièvre, C., PISA: La France championne des résultats inégalitaires, Blog EducPros, Décembre 2010

"Selon les données de l’OCDE datant aussi de l’année 2006, la France se caractérise pour l’enseignement primaire par un coût salarial par élève (1625 dollars) nettement plus faible que dans la moyenne de l’OCDE: elle est en 25° position pour 30 pays. L’écart par rapport à cette moyenne (-637 $) s’explique par des facteurs de sens divergent : un salaire des enseignants plus faible (-256 $), un temps d’enseignement assuré par les enseignants plus élevé (-257 $), une taille des classes plus importante (-394 $), et, en sens inverse, un temps d’instruction des élèves plus long (+ 270 $)".
Nous noterons donc que les instituteurs français sont moins bien payés, pour un temps devant les élèves plus long et des effectifs par classe plus importants. En 2006 ! Nous comptons 79 000 postes en moins depuis.
Au collège, le coût salarial par élève en France (2392 dollars) reste inférieur à la moyenne de 526 dollars : la France se situe en 22° position.
Le temps d'enseignement moindre compense l'écart de salaire. Un autre lien pour aller plus loin dans les comparaisons de  salaires enseignants. 
Bref, au final, nous obtenons des résultats dignes du 25ème rang de l'OCDE pour un investissement proche du 25ème rang. Pas de quoi pavoiser, ni crier au loup. Notons que le coût salarial ne couvre pas les coûts totaux (fonctionnement des établissements, administration...) et, il serait intéressant d'ajouter au coût global le manque à gagner fiscal accordé à la déduction des cours à domicile. 300 millions ?

Mais "les moyens ne sont pas le problème, il faut changer les méthodes". Ce discours trop souvent entendu devrait pourtant être intenable par le ministère étant donné son désintérêt profond pour les questions de l'enseignement et la réalité de sa gestion des personnels.

4.2 La pratique des rectorats pour une qualité d'enseignement: 
Un adulte devant les élèves

Le non-remplacement des titulaires engendre un appel massif à des contractuels et vacataires. Le ministère ne donne pas de chiffres actualisés du nombre de ses non-titulaires. Ils seraient toujours 20 000. Chez les personnels de direction, en première ligne pour gérer la pénurie, le chiffre qui circule fait plutôt état de 60 000 embauches de non-titulaires pour parer les 100 000 postes non remplacés.
Les rectorats recrutent comme ils peuvent des titulaires d'une licence universitaire; une licence scientifique, par exemple, suffit pour enseigner mathématiques, sciences physiques ou SVT.
Il n'y a alors aucune considération pour la qualité de l'enseignement, la seule logique des rectorats est de mettre un adulte devant les élèves.
Mais à 1500 euros nets par mois, les prétendants sont peu nombreux, le recrutement s'élargit et les petites histoires se multiplient : vacataire en français non latiniste enseignant le latin, établissement comptant 10 contractuels sur 40 enseignants, élèves de 1ère sans profs de français pendant 3 mois, rentrée du prof de maths en novembre, recrutement d'un ingénieur retraité en technologie tenant des propos racistes, prof d'allemand schizophrène, spécialiste en forage pétrolier professeur de SVT en difficulté ... Les commentaires sont les bienvenus pour enrichir cette partie petites histoires.
Le ministère pousse le vice encore plus loin en maintenant en situation précaire les non-titulaires compétents qu'il réemploie année après année. Premièrement, les concours de recrutement internes, réservés aux contractuels pour passer titulaires, ont été fermés plusieurs années et le sont encore parfois alors que le nombre de candidats potentiels explose. Deuxièmement, pour éviter les procès aux prud'hommes pour multiplication de contrats, certains rectorats signent en CDI les non-titulaires, ayant exercé plus de 6 ans. Toujours au même salaire, disponible pour enseigner sur tout le département.

4.3 Des réformes pour l'efficacité du système ?

Ensuite, deux réformes marquent encore un peu plus le désintérêt complet pour cette question de la qualité de l'enseignement.
La première, la réforme de l'entrée dans le métier des néo-titulaires. Précédemment, lors de la première année, les nouveaux enseignants bénéficiaient d'un service à mi-temps, d'un temps important de formation en IUFM et du soutien d'un tuteur. Désormais à temps plein,  les néo-titulaires sont confrontés à leurs classes avec une formation d'accompagnement très légère, et le soutien d'un tuteur, au statut peu enviable et peu recherché, est souvent hypothétique (tuteur dans un autre établissement ou nommé bien après la rentrée). La qualité de l'enseignement reçu par les élèves des néo-titulaires en difficulté ne semble inquiétée personne au ministère, qui ne communique pas non plus sur l'évolution des démissions de ces jeunes enseignants depuis la réforme. L'inspection de l'académie de Créteil a mis en avant un taux de démission de 22% en 2010. D'autres inspections ne publient pas ce décompte et préfèrent encourager par lettre écrite certains jeunes enseignants en difficulté à démissionner.
La deuxième, la réforme de l'évaluation des enseignants. La reconnaissance de la compétence est un problème, si ce n'est le problème de gestion des ressources humaines dans la maison EN. Précédemment, l'évaluation des enseignants était calamiteuse du fait du passage trop peu fréquent des inspecteurs, spécialisés dans la discipline. Leur nombre en chute libre, le passage des inspecteurs s'est fait encore moins fréquent ces dernières années; dans certaines académies, des enseignants du secondaire ne voient personne en 10 ans. L'évaluation en parallèle par le chef d'établissement, de l'engagement hors classe, était marginale (peu de liberté laissée dans la notation).  Mais pour régler le problème, l'évaluation des enseignants se ferait désormais par le chef d'établissement uniquement, sous les conseils de l'inspecteur. Un chef d'établissement  n'a pas compétence pédagogique sur l'ensemble des disciplines. L'enseignant sera donc évalué sur son activité en dehors de la classe, les projets menés, son autorité globale mais pas sur les apprentissages des élèves.
Qui peut dire que ces réformes vont permettre une remise en cause des méthodes enseignantes ? Comment peut-on affirmer se soucier de la qualité de l'enseignement ?


5. Quelques mots sur le statut des enseignants

Quelques informations sur ce point avant de conclure. Le salaire des enseignants certifiés ou des professeurs des écoles reste modeste, mais cela n'a pas empêché le ministère de réaliser une communication sur la revalorisation des enseignants. Sans problème, Luc Chatel a comparé des salaires de néo-titulaires à temps plein à Bac+5 avec ceux de l'an dernier à mi-temps à Bac+4.
Soulé V., Luc Chatel, Le Père Noël et les 2000 euros, C'est Classe, Blog Libé 
La réalité aujourd'hui est que instituteurs et certifiés mettent toujours aujourd'hui 10 ans de carrière, pour toucher 2000 euros nets.
Ajoutez à cela l'augmentation de la cotisation sur les retraites et le gel du point d'indice depuis 2 ans pour comprendre que la stratégie viable choisie par nombre d'enseignants consiste à prendre des heures supplémentaires. On peut même affirmer que la gestion des personnels par le ministère les invite même à prendre des heures, beaucoup d'heures, quitte à les bâcler, puisque tout le monde s'en fiche.



En conclusion, notre Ecole est tellement mise à mal aujourd'hui que pour nombre d'enseignants les débats actuels dans les médias entre républicains (pro-savoirs) et pédagogues (pro-développement de l'enfant), ou sur le partage des responsabilités entre parents et enseignants, sont d'une inutilité néfaste. Le matraquage que subit l'Ecole ces dernières années devrait mettre au placard ces querelles de second ordre et fédérer les acteurs pour remettre dans le bon sens cette institution républicaine.
Et dernièrement, de quoi est victime notre Ecole finalement si ce n'est d'un néolibéralisme inefficace et dogmatique ? Celui-là même qui conduit aujourd'hui à une distribution des revenus et à une fiscalité immorales, à un accès au logement impossible, à la mise en difficulté d'Etats souverains, à la succession de crises financières, à la mise en concurrence des travailleurs de pays de niveaux de vie incomparables...

2 commentaires:

  1. Pour continuer,
    http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2012/04/12/ecole-les-moyens-attribues-renforcent-les-inegalites_1684433_1473688.html
    Les réductions de poste ont été faites là où cela fait moins de bruit; voilà tout le courage politique !

    Enusite autre corps intermédiaire dressant un bilan noir, l'USM pour la justice
    http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/04/12/le-principal-syndicats-de-magistrats-critique-le-bilan-sarkozy_1684659_1471069.html

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  2. http://educationdechiffree.blog.lemonde.fr/2013/01/24/le-salaire-des-enseignants-francais-a-la-loupe/#comment-723

    Une étude sur les salaires enseignants qui tient la route !

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