mardi 14 février 2012

Revue de Grèce

La campagne présidentielle française a de quoi accaparer notre attention. Tribune à certaines idées altermondialistes ou progressistes : taxe Tobin, plafonnement des loyers,  révolution fiscale... Puis,  retour à la ligne droite néolibérale pour Sarkozy : référendum sur l'indemnisation chômage, discours sur les valeurs, le travail, la famille... Déblatérer sur les valeurs pour ne pas parler d'économie, ou comment définitivement nous prendre pour des abrutis ?

Incroyable comme cette campagne renvoie à la lecture du livre de Thomas Frank et sa superbe préface de Serge Halimi sur la campagne de 2007.

Mais là n'est aujourd'hui pas le problème. Il nous faudrait faire preuve d'un ethnocentrisme caractérisé pour nous étaler sur ces broutilles quand un Etat européen est proche de l'implosion, économique comme sociale.

Ce qui se passe en Grèce nous interpelle et ce billet présente une revue de presse tentant de couvrir différents aspects du "problème grec", diront les économistes orthodoxes.
La stratégie de l'Union Européenne et plus largement de la Troïka est simple et parfaitement résumée par Jean Quatremer dans cet article. 

Présentation chiffrée de l'économie grecque montrant son déficit de compétitivité: salaires trop élevés pour attirer les investisseurs étrangers, Etat endémique, tissu économique inadapté à l'économie de marché européenne... Vous connaissez la musique !
Mais comment faire un article sur la situation actuelle sans parler des structures et des conditions d'accès au marché de la Grèce pour son refinancement ? Comment concevoir des remèdes aussi draconiens sans s'intéresser à l'état de la population ? Et à la lecture de cet article, pourquoi avoir alors vendu l'intégration à l'Union monétaire de pays aux cultures économiques si différentes ?



Pour comprendre le rôle des marchés obligataires, un tour sur le site Gecodia suffit pour percevoir comment l'évolution des taux demandés à la Grèce pour son refinancement la pousse à la faillite.

Attention, ce sont des taux de reventes des prêts grecs sur le marché secondaire sur les produits à 10 ans, il ne s'agit pas des taux exacts réels lors des adjudications au trésor grec et l'Etat grec se finance également par d'autres produits que du "10 ans".

L'obligation faite aux Etats membres, même en extrême difficulté, de se financer sur les marchés financiers et les peurs du défaut de l'Etat grec ont amené une dérive des taux d'intérêts et une augmentation du poids de la dette sur l'économie grecque intenable.

Mais puisque nous sommes sur le rôle du secteur financier dans la crise grecque, attardons-nous sur l'article de François Leclerc qui se penche sur le rôle des hedge funds, fonds d'investissement qui œuvrent pour ne pas renégocier la dette grecque.

Ou encore sur celui de l'Allemagne qui a mis en place les structures d'une zone monétaire qui ne peut pas fonctionner, du fait du super-principe de contrôle de l'inflation et de surveillance des finances publiques par les marchés obligataires mondiaux.

Mais revenons-en aux Grecs puisque la logique néolibérale voudrait que leurs salaires diminuent drastiquement. 
La société grecque subit la crise de plein fouet et de nombreux médias tentent de mettre l'ensemble de la responsabilité sur les Grecs eux-mêmes en s'appuyant sur les propos de Merkel: peu travailleurs, fraudeurs du fisc invétérés, clientélistes et corrompus...

Ces analyses tentent de réunir le peuple grec sous ces traits, là où la grande majorité de celui-ci est la première victime du clientélisme de ses élites politiques, et où la fraude fiscale ne profite pas particulièrement aux vendeurs de sandwiches à la sauvette des rues d'Athènes ou aux travailleurs indépendants multi-activités.
Kadritzke, N., Comment l'injustice fiscale a creusé la dette grecque, Le Monde Diplomatique, mars 2010.

Si vous voulez éviter le Monde Diplomatique, voici un article des Echos intéressant, tout en mettant bizarrement l'accent sur la partie secteur public des inégalités.
Doré, M., Sauvez le soldat grec...mais à condition de faire le ménage à Athènes, Site Les Echos.fr, Septembre 2010.

Les deux articles suivants montrent pour le premier la réalité de la baisse des revenus des grecs et de leur accès aux services publics, les conséquences sur la santé publique; pour le deuxième, le désarroi de cette génération très qualifiée cantonnée aux petits boulots à 700 euros par mois.
Burgi, N., Les Grecs sous le scalpel, Le Monde Diplomatique, Décembre 2011.
Kaimaki, V., "Aux banques, ils donnent de l'argent; aux jeunes, ils offrent... des balles", Le Monde Diplomatique, Janvier 2009.

Et nous finirons par rappeler l'engagement de sociétés françaises dans l'économie grecque quand M. Quatremer brocarde son manque de compétitivité. Un engagement, sans doute pas par œuvre de bienfaisance, mais l'on peut supposer que les investisseurs étrangers, français ou non, ne se battront pas pour la mise en place rapide d'une grande politique fiscale redistributrice.

Ce rappel se fera à partir d'extraits d'un commentaire d'un internaute, LoupBleu, sur Libération.fr que nous étayons de quelques liens.
(...) "Personne ne veut dire que Carrefour a racheté beaucoup, beaucoup de supermarchés grecs depuis l'adoption de l'euro et créé beaucoup d’établissements. 
(...) Personne ne veut rappeler que la banque commerciale (emporiki, 2ème banque grecque), la banque agricole (agrotiki trapeza), la banque générale (géniki trapeza) ont été rachetées par des banques françaises. 
(...) Personne ne dit que l'aéroport d'Athènes a été concédé à une entreprise allemande, que le port du Pirée a été concédé à une entreprise chinoise. Autant dire que la Grèce perd peu à peu le contrôle de ses outils de transport."

En conclusion, nous reprendrons une citation de l'article de Burgi cité plus haut :
"L’intervention de forces transnationales qui portent depuis au moins trente ans le projet de déconstruction de l’Etat social est ainsi relayée au niveau national par des acteurs longtemps partie prenante d’un système clientéliste, inefficace et corrompu."

Tout est dit. Presque.

3 commentaires:

  1. Bonne remarque lue sur un blog : par rapport à l'attitude de l'Europe qui demande au "bon peuple" grec de se sacrifier.

    1) Tout d'abord au niveau militaire, a-t-on demandé à l'état grec de cesser d'acheter des armements inutiles? Car ce pays est celui d'Europe qui a le plus gros budget dans ce domaine?

    2) Ensuite, est-ce que l'Europe fait des pressions aussi fortes sur le gouvernement grec pour que les secteurs non imposés (armement maritime, église, etc.) soient soumis à l'impôt?

    3) Enfin, quelles pressions sont faites par l'Europe, sur nos banques, pour que celles-ci transmettent au fisc grec l'intégralité des sommes de ses ressortissants qui y sont planquées?

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  2. Et les privatisations annoncées vont encore déposséder l'Etat grec des secteurs clés de son industrie.
    D'un pays a priori endetté, on en fait un pays ruiné par une politique barbare.

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  3. Pour répondre aux arguments sur la compétitivité et la fainéantise des grecs, regardons plutot les beaux tableaux d'Eurostat sur les temps de travail.
    Ceux là même qui nous disent que nous français, ne travaillons pas assez.
    Et bien pour la Grèce, ils en sont à 43h (pr 700 euros) et ne sont pas assez compétitifs... La moins-disance sociale du néolibéralisme n'a pas de limites...
    http://www.touteleurope.eu/fr/actions/social/emploi-protection-sociale/presentation/comparatif-le-temps-de-travail-dans-l-ue.html

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