mardi 20 décembre 2011

"Nous n'avons plus les moyens" de...


La crise de la dette a quelque chose de fascinant, fascinant en ce qu'elle révèle le dogmatisme de nos responsables politiques. Pardon ? Un démarrage, une accroche un peu trop abrupte ? Alors expliquons-nous.
La crise de la dette devrait permettre de faire entendre 3 grands ensembles de solutions. 
Le premier engloberait les mesures relatives à la hausse des recettes publiques (impôts et taxes): comment faire rentrer plus d'argent dans les caisses de l'Etat ? Question au cœur de la primaire socialiste, aux oubliettes depuis.
Le second ensemble viserait la réforme du financement de nos états : comment faire pour payer moins cher notre dette ? Ce qui nous renvoie à nos débats précédents.
Mais le troisième ensemble relatif à la baisse des dépenses publiques retient la quasi-intégralité du discours politique. Aisément repérable, vous le sentez venir des minutes à l'avance dans la bouche des intervenants et cet implacable, lamentable et insupportable argument tombe:
"Nous n'avons plus les moyens"

Que des économistes du monde entier se battent pour faire entendre leurs arguments différents (citons Krugman et Stiglitz pour les Prix Nobel), leurs travaux poussés (Le Collectif des Economistes Atterrés en France), leurs soutiens à des mouvements citoyens pourtant limite illégaux (Support des économistes au mouvement Occupy Wall Street), vous n'entendrez pas :

Valérie Pécresse, notre ministre démordre de son "Nous n'avons plus les moyens". 

Ni Viviane Redding, vice-présidente de la Commission Européenne, entonner un autre refrain.

Ni même François Bayrou, candidat centriste dire autre chose que "nous avons trop dépensé".

En ne nous donnant comme réponse au néo-libéralisme que plus de néo-libéralisme, nos politiques ou une majorité d'entre eux nous renvoient leur dogme à la figure. Rien que cela mais, puisqu'en employant et dénonçant le terme de néo-libéralisme, l'exposition aux critiques de "populisme", de "refus de la modernité" ou d'"extrême-gauche" est inéluctable, alors de quoi a-t-on abusé ? Quelle a été notre grande faute ? De quoi devons-nous maintenant nous passer ? Nous nous pencherons sur ces questions avant de nous intéresser sur notre capacité, nos moyens, à supporter encore un peu plus les travers idéologiques de nos dirigeants.


Notre dette colossale nous oblige à des sacrifices auxquels nous n'échapperons pas, notre Ecole non plus. Dans ce domaine, nous avons tellement abusé que le taux d'encadrement des élèves en France est l'un des plus faibles d'Europe et les salaires enseignants sont eux aussi très mal placés dans le peloton européen. Face à un tel abus, les réductions de postes ont été amorcées bien avant la crise de sorte que, nous atteindrons 78 000 postes en moins sous l'ère Sarkozy et presque 100 000 depuis les débuts en la matière des gouvernements Villepin (soit 10% d'effectif enseignant en moins, 850 000). Quel est le résultat de la réduction déjà amorcée de ces moyens ? Bizarrement, nos résultats dans les enquêtes internationales sont plutôt passables voire en baisse : nos résultats en mathématiques sont en baisse de 2003 à 2009, nous sommes toujours autour du 25ème rang des pays de l'OCDE selon les items, de la lecture aux sciences et étrangement, notre proportion d'élèves en grande difficulté (20% en 2009, +5% par rapport à 2000) augmentent.
Mais oui nous avons abusé, cet Etat-Providence que l'on vient de vous décrire, cet Etat-Providence a trop vécu.

Quid de notre système de santé. Citons là encore quelques exemples de "vie au-dessus de nos moyens"; nos personnels soignants ont des millions de jours de RTT non pris vu la faiblesse d'effectifs des personnels, la réforme de l'hôpital dite loi Bachelot a mis sous tension maximale les budgets de tous les hôpitaux de France, les situations d'exclusions des soins se multiplient mais nous aurions abusé.
Le domaine de la santé mérite toutefois un temps d'arrêt particulier tant il marque le sommet de la logique néo-libérale: en France, nous consacrons 11% du PIB à la santé et la part privée de nos dépenses de santé atteint 20,2%. A mettre en regard (en prenant des pincettes, les modes de vie étant l'explication principale) des 72 ans d'espérance de vie en bonne santé de notre population. Pour comparer, les Etats-Unis, 16% de PIB consacrés à la santé pour 50% d'origine privée et une espérance de vie en bonne santé de 69 ans. Le Japon, 8% pour 17% d'origine privée et 75 ans d'espérance de vie.
Même la très libérale OCDE convient que la mutualisation des dépenses reste la solution de financement de nos systèmes de santé la plus efficace mais non, Xavier Bertrand reste sur les mêmes recettes. Cette page restitue les débats sur le plan de financement de la Sécurité sociale pour 2012. La part de remboursement de la sécurité sociale est passée de 76.5% en 1980 à 73.9% en 2009.

Mais le pire de nos abus resterait notre dépendance aux allocations chômage et aux minimas sociaux. Ce cancer de l'assistanat dénoncé par Laurent Wauquiez justifie de faire de la fraude sociale (allocations, sécurité sociale...) une priorité nationale selon notre président.
Comment peut-on aujourd'hui dire des choses pareilles ? Sans s'étendre sur la goutte d'eau de la fraude sociale des allocataires (3 milliards) face à celle du travail non déclaré (8 à 14 milliards) ou la grande fraude fiscale, l'évasion (20 milliards), la structure actuelle de notre économie fait disparaître des emplois par milliers mais la faute en reviendrait aux chômeurs.
Pôle emploi recense 4.7 millions de chômeurs dans ses 4 catégories, le Revenu de solidarité active socle (sans complément pour le retour à l'emploi) est touché par 1.38 millions de personnes tant et si bien que l'INSEE dénombre 13% de la population française vivant sous le seuil de pauvreté (enfants, conjoints, retraités compris) soit 8 millions de personnes.
Notre économie détruit des centaines de milliers d'emplois par an et notre problème est l'assistanat ?

Mais sur ce point, nous n'avons pas touché le fond. Face au chômage, les économistes mettent en avant 3 catégories de solutions: 
- le partage du temps de travail pour faire profiter à tous les gains de productivité, 

- le protectionnisme ou les limites au libre-échange et à la mise en concurrence des travailleurs du monde entier,  

- le retour de la compétitivité par, à court terme, la baisse des salaires à la manière de l'Allemagne et à long terme, une réforme de la formation (sic) et une adaptation de nos entreprises aux marchés mondiaux. Les articles relatifs à ces arguments sont légion.

Mais en cette période d'élections présidentielles, nos politiques se cantonnent à un démagogique Produire en France ou Acheter français et à l'écoute de cette ânerie, deux jugements à leur encontre peuvent nous emporter : sont-ils aveugles ou nous prennent-ils pour des abrutis ?
Sont-ils pour un regain de compétitivité immédiat de la France par une pression accrue sur les bas salaires, histoire de gonfler nos statistiques sur la pauvreté ? Ou optent-ils désormais pour un retour du protectionnisme tant décrié, ringardisé, après nous avoir vendu, fait voter puis passer de force une constitution européenne basée sur la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux entre pays de l'Union voire dans certains cas des pays tiers (Article 56) ?


Difficile donc de nous faire croire que nous ne pouvons plus soutenir un Etat-Providence tant la Providence semble nous avoir quittés il y a quelques temps déjà. Mais ne fermons pas les yeux sur la situation actuelle et ne nions pas que nous n'avons plus les moyens... de supporter plus longtemps les conséquences des politiques néo-libérales.

Soyons ici plus rapide en laissant le choix au lecteur de s'énerver dans une foire de liens plus agaçants les uns que les autres.
Piketty et consorts ont montré la dégressivité de notre système fiscal actuel, ce à quoi le gouvernement a répondu par le très injuste gel des tranches d'impôts sur le revenu pour 2012 et 2013. Les recettes de l'impôt sur le revenu ont baissé de 13% de 2006 à 2009. Elles devraient remonter en accentuant la dégressivité.
L'INSEE a montré que les écarts de niveaux de vie (transferts sociaux compris) entre déciles de population augmentent ces dernières années et que seuls les 10% les plus riches de la population ont augmenté leur part du patrimoine total (si, si, le mode de calcul est assez cynique), notre gouvernement en a profité pour alléger l'impôt sur la fortune en supprimant le bouclier fiscal. Coût global pour le contribuable : -1.3 milliards d'euros et double jackpot pour certains, le bouclier n'étant supprimé qu'en 2013. 
Les niches fiscales grèvent le budget de l'Etat de 75 milliards d'euros par an mais leur mise à plat était annoncée et imminente; juste sur ce point, nous pourrions tenter un exhaustif passage en revue (prélèvement libératoire des plus-values ou des dividendes, abattement, revenus locatifs...) mais laissez-vous porter par un détour sur un ou deux sites de gestion de patrimoine ou de conseils en défiscalisation pour juger de la persistance, de la vitalité et de l'attractivité à peine entamées de nos niches.
Le must de l'information sur les niches fiscales reste le reportage historique de l'émission Là-Bas si j'y suis, qui nous rappelle au bon souvenir d'Eric Woerth.
Là-bas si j'y suis, On achète bien les chevaux, France Inter, octobre 2010.

Ces manques à gagner pour l'Etat était d'une injustice crasse il y a quelques mois encore, mais ils constituent aujourd'hui un non-sens absolu face à l'ampleur de notre déficit. Nous n'avons plus les moyens de supporter cette moins-disance fiscale, mais nous n'avons plus les moyens non plus de continuer à subir le dernier des dogmes libéraux européens : l'indépendance de la BCE et la création monétaire par les banques commerciales. Pas besoin ici de revenir sur ce sujet débattu précédemment, nous rappellerons juste que la charge de la dette (les intérêts payés) pour l'Etat Français en 2011 sera de 47 milliards d'euros avec des taux d'intérêts bien supérieurs aux pays ayant des modes de financement différents.
Mais les successions de craintes de défaut de pays européens et d'ultimes sommets européens Sarkozy - Merkel / crainte de défaut / sommet de la dernière chance... depuis des mois n'aboutissent jamais à une remise en cause du mode de financement de notre dette que les marchés financiers, plus conscients du marasme, appellent de leurs vœux.

De sorte que pour conclure,  nous reprendrons l'excellent article de F. Lordon, à lire absolument, mais aussi celui de C. Chavagneux, économistes de profils pourtant bien différents, pour estimer que ces sommets européens ne résolvent aucun problème, tant ils ne remettent jamais en cause les dogmes néolibéraux que nous n'avons pourtant plus les moyens de supporter.

Chavagneux, C., Le Plan Merkozy sème la zizanie, Blogs d'Alternatives Economiques, décembre 2011
Lordon, F.,  Sur le toboggan de la crise, Le Monde Diplomatique, décembre 2011 (aperçu uniquement, disponible en kiosque).

Enfin, de manière à prévenir les irrémédiables prochaines lectures ou écoutes de discours politiques nous rappelant les sacrifices obligatoires à venir, et de crainte de nouveaux ulcères d'estomac, de migraines intempestives, de coups de têtes contre les murs qu'ils provoqueront sûrement, nous nous devons d'économiser nos moyens, sanitaires et psychologiques, pour survivre, et faire face... à de telles âneries.