mardi 25 octobre 2011

Suivi de Campagne 1 : Primaire, Piketty, Montebourg et la démondialisation

Reconnaissons la belle victoire de François Hollande la semaine dernière. Vainqueur d'une primaire dont le niveau de débat a dépassé celui des pâquerettes où nous habituent Copé, Morano, Besson et compagnie.

Mais là n'est pas le sujet. Non, plutôt, le sujet de ces primaires a été l'apparition dans le débat politique de thèmes jusqu'ici oubliés des partis traditionnels, et relégués aux articles d'économistes altermondialistes que personne, sur aucun plateau, n'invite jamais.

En effet, s'il est évident que chacun des 6 candidats de la primaire avait lu en large et en travers, le livre de Thomas Piketty, Arnaud Montebourg a été un peu plus loin en nous lançant à la figure sa démondialisation.

Ce billet propose donc de présenter, de donner à voir, à lire, quelques éléments complémentaires pour gratter derrière le discours politique.

Commençons par la base théorique commune aux socialistes que constitue ce petit livre, forcément rouge:
Pour une révolution fiscale, Landais, C., Piketty, T., Saez, E., Editions du Seuil, 2010.

Piketty n'est pas un inconnu, ni un grand oublié des plateaux télé, mais les lecteurs de Pour une Révolution Fiscale auraient à cœur de le voir plus souvent tant son message mérite d'être relayé. Piketty et consorts montrent à partir des chiffres de la Comptabilité Nationale la structure inégalitaire de la distribution des revenus en France, l'accroissement de patrimoine phénoménal du 1% les plus riches depuis les années 2000 et surtout la destruction du caractère progressif de l'impôt dans notre pays. Ce livre simple, court et très précis est un incontournable pour François, Martine mais pas seulement et le site, complémentaire au livre, vaut le détour, pour vous situer sur l'échelle de revenus d'une part, et pour prendre la mesure des écarts de richesse d'autre part.

Un exemple: à partir de cette page sur la distribution des revenus, nous pouvons nous apercevoir du bernement total de la classe moyenne; classe principale en nombre et cœur de cible électorale (les classes populaires ne votant plus). Cette plus large part de la population a cru, en 2007, au travailler plus pour gagner plus; en un mot, à la méritocratie. Le message sarkozyste était en fait intra-communautaire: il était un petit peu plus long et complexe et signifiait en réalité "travailler plus pour gagner plus... que votre voisin... et ne regarder ni en haut, ni en bas".
Imaginons une rue où 100 Français représentatifs sont installés, du moins riche au numéro 100 au plus riche au numéro 1. Pour Michel, au numéro 44, travailler dur et gagner 300 euros de plus dans l'année, lui permettra de monter d'une maison dans la rue. Par contre au numéro 3, Philippe-Charles devra lui accroître ses revenus (du capital bien souvent) de la paie de Robert sur un an pour monter d'un cran. Ce n'est pas clair ? Non, tant mieux, allez voir Piketty.

Formidable travail que celui de Piketty et consorts donc. Dominique Seu, chroniqueur économiste sur France Inter, lui n'a pas du bien le lire ou le comprendre quand il dit cette énorme ânerie : “Le niveau de vie des 10% de Français les plus aisés est 3,4 fois plus élevé que celui des 10% les plus modestes.”  Le blog de Gilles RAVEAUD vous donnera tous les détails sur cette affaire. 

Piketty pour tous certes, mais Lordon pour Montebourg. Arnaud Montebourg a été piqué par la démondialisation. Pari risqué de communiquer sur ce thème mais pari réussi. Quand l'altermondialisme est socialement mal perçu, associé dans l'imaginaire collectif aux heurts des forums sociaux ou à la décroissance, Montebourg a choisi de communiquer sur le terme de la démondialisation. Peu connu, peu employé, mais un terme relativement clair permettant de relayer des idées qui germent dans la tête des Français; plus ou moins "Indignés" par les inégalités de revenus, la peur du déclassement et la baisse de leur protection sociale et salariale.

Evidemment, Arnaud Montebourg n'a pas inventé la démondialisation sur le coin de sa table en partageant son croissant avec Audrey Pulvar. Ce concept est au coeur de débats altermondialistes depuis quelques mois par revues interposées.

Pour commencer, un collectif d'économistes du réseau ATTAC a commencé l'offensive anti-démondialisation en juin dernier pour contrer la montée de ce thème, notamment dans les discours de l'extrême droite.
La démondialisation, un concept superficiel et simpliste, Collectif ATTAC, Mediapart, juin 2011. 

Frédéric Lordon a alors pris sa plus belle plume pour répondre à ses amis altermondialistes d'un cinglant:
Qui a peur de la démondialisation ?, Lordon, F., La Pompe à Phynance, juin 2011.

Doublé d'un article du Diplo:
La démondialisation et ses ennemis, Lordon, F., Le Monde Diplomatique, août 2011.

Ce à quoi Jean-Marie Harribey, co-auteur du premier article d'ATTAC, a répondu deux éditions du Diplo plus tard:
Sortir de la Crise, par où commencer ?, Harribey, J.-M., Le Monde Diplomatique, octobre 2011.

Ce petit jeu de renvoi de la balle démondialisatrice vous paraîtra très intéressant si les quelques idées de Montebourg ne vous ont pas paru assez développées, et que les réponses des politiques vous ont paru encore plus légères. Comme celle de Michel Barnier qui classe le concept comme réactionnaire. Si Michel Barnier dit réac...

Pour éclaircir le débat entre altermondialistes convaincus (laissons de côté Michel Barnier ou le Front National), nous dirons simplement que la démondialisation oppose les partisans de la souveraineté nationale aux mondialistes.
Le collectif ATTAC est un collectif international luttant pour la distribution des richesses à l'échelle du globe et cherchant à mettre en place des solutions internationales équitables aux problèmes des marchés agricoles ou à ceux de l'accès à la santé. Alors que F. Lordon et consorts ne croient pas à la réalité d'une politique internationale et pense que le niveau de réaction premier est celui de l'Etat. Qu'en attendant une réaction mondiale, nous ne ferons qu'attendre.
Si l'on s'en réfère aux baisses d'impôts encore accordées récemment aux plus hauts revenus, comme en Israël en 2010, il est probable que nous devions attendre longtemps avant d'obtenir un consensus politique autour des thèmes altermondialistes. Celui de Washington faisant encore des émules.

Bref, les économistes convaincus que la répartition des richesses est le cœur du problème divergent sur l'échelon au niveau duquel le régler: au niveau national ou supra-national ? Ils vous donnent de quoi vous faire votre opinion et profiter de bien belles lectures.

Le souci principal reste que leur conviction de départ n'est pas partagée.

Le blog Essai de Réinformation vous proposera durant la campagne présidentielle quelques articles, sans doute plus courts, en réponse à toutes les imbécilités que l'on ne manquera pas d'entendre lors de ce genre de moment politique. Vos propositions sont, elles aussi, les bienvenues.

Nous conclurons vulgairement d'un "on va bien se marrer".