mardi 20 décembre 2011

"Nous n'avons plus les moyens" de...


La crise de la dette a quelque chose de fascinant, fascinant en ce qu'elle révèle le dogmatisme de nos responsables politiques. Pardon ? Un démarrage, une accroche un peu trop abrupte ? Alors expliquons-nous.
La crise de la dette devrait permettre de faire entendre 3 grands ensembles de solutions. 
Le premier engloberait les mesures relatives à la hausse des recettes publiques (impôts et taxes): comment faire rentrer plus d'argent dans les caisses de l'Etat ? Question au cœur de la primaire socialiste, aux oubliettes depuis.
Le second ensemble viserait la réforme du financement de nos états : comment faire pour payer moins cher notre dette ? Ce qui nous renvoie à nos débats précédents.
Mais le troisième ensemble relatif à la baisse des dépenses publiques retient la quasi-intégralité du discours politique. Aisément repérable, vous le sentez venir des minutes à l'avance dans la bouche des intervenants et cet implacable, lamentable et insupportable argument tombe:
"Nous n'avons plus les moyens"

Que des économistes du monde entier se battent pour faire entendre leurs arguments différents (citons Krugman et Stiglitz pour les Prix Nobel), leurs travaux poussés (Le Collectif des Economistes Atterrés en France), leurs soutiens à des mouvements citoyens pourtant limite illégaux (Support des économistes au mouvement Occupy Wall Street), vous n'entendrez pas :

Valérie Pécresse, notre ministre démordre de son "Nous n'avons plus les moyens". 

Ni Viviane Redding, vice-présidente de la Commission Européenne, entonner un autre refrain.

Ni même François Bayrou, candidat centriste dire autre chose que "nous avons trop dépensé".

En ne nous donnant comme réponse au néo-libéralisme que plus de néo-libéralisme, nos politiques ou une majorité d'entre eux nous renvoient leur dogme à la figure. Rien que cela mais, puisqu'en employant et dénonçant le terme de néo-libéralisme, l'exposition aux critiques de "populisme", de "refus de la modernité" ou d'"extrême-gauche" est inéluctable, alors de quoi a-t-on abusé ? Quelle a été notre grande faute ? De quoi devons-nous maintenant nous passer ? Nous nous pencherons sur ces questions avant de nous intéresser sur notre capacité, nos moyens, à supporter encore un peu plus les travers idéologiques de nos dirigeants.


Notre dette colossale nous oblige à des sacrifices auxquels nous n'échapperons pas, notre Ecole non plus. Dans ce domaine, nous avons tellement abusé que le taux d'encadrement des élèves en France est l'un des plus faibles d'Europe et les salaires enseignants sont eux aussi très mal placés dans le peloton européen. Face à un tel abus, les réductions de postes ont été amorcées bien avant la crise de sorte que, nous atteindrons 78 000 postes en moins sous l'ère Sarkozy et presque 100 000 depuis les débuts en la matière des gouvernements Villepin (soit 10% d'effectif enseignant en moins, 850 000). Quel est le résultat de la réduction déjà amorcée de ces moyens ? Bizarrement, nos résultats dans les enquêtes internationales sont plutôt passables voire en baisse : nos résultats en mathématiques sont en baisse de 2003 à 2009, nous sommes toujours autour du 25ème rang des pays de l'OCDE selon les items, de la lecture aux sciences et étrangement, notre proportion d'élèves en grande difficulté (20% en 2009, +5% par rapport à 2000) augmentent.
Mais oui nous avons abusé, cet Etat-Providence que l'on vient de vous décrire, cet Etat-Providence a trop vécu.

Quid de notre système de santé. Citons là encore quelques exemples de "vie au-dessus de nos moyens"; nos personnels soignants ont des millions de jours de RTT non pris vu la faiblesse d'effectifs des personnels, la réforme de l'hôpital dite loi Bachelot a mis sous tension maximale les budgets de tous les hôpitaux de France, les situations d'exclusions des soins se multiplient mais nous aurions abusé.
Le domaine de la santé mérite toutefois un temps d'arrêt particulier tant il marque le sommet de la logique néo-libérale: en France, nous consacrons 11% du PIB à la santé et la part privée de nos dépenses de santé atteint 20,2%. A mettre en regard (en prenant des pincettes, les modes de vie étant l'explication principale) des 72 ans d'espérance de vie en bonne santé de notre population. Pour comparer, les Etats-Unis, 16% de PIB consacrés à la santé pour 50% d'origine privée et une espérance de vie en bonne santé de 69 ans. Le Japon, 8% pour 17% d'origine privée et 75 ans d'espérance de vie.
Même la très libérale OCDE convient que la mutualisation des dépenses reste la solution de financement de nos systèmes de santé la plus efficace mais non, Xavier Bertrand reste sur les mêmes recettes. Cette page restitue les débats sur le plan de financement de la Sécurité sociale pour 2012. La part de remboursement de la sécurité sociale est passée de 76.5% en 1980 à 73.9% en 2009.

Mais le pire de nos abus resterait notre dépendance aux allocations chômage et aux minimas sociaux. Ce cancer de l'assistanat dénoncé par Laurent Wauquiez justifie de faire de la fraude sociale (allocations, sécurité sociale...) une priorité nationale selon notre président.
Comment peut-on aujourd'hui dire des choses pareilles ? Sans s'étendre sur la goutte d'eau de la fraude sociale des allocataires (3 milliards) face à celle du travail non déclaré (8 à 14 milliards) ou la grande fraude fiscale, l'évasion (20 milliards), la structure actuelle de notre économie fait disparaître des emplois par milliers mais la faute en reviendrait aux chômeurs.
Pôle emploi recense 4.7 millions de chômeurs dans ses 4 catégories, le Revenu de solidarité active socle (sans complément pour le retour à l'emploi) est touché par 1.38 millions de personnes tant et si bien que l'INSEE dénombre 13% de la population française vivant sous le seuil de pauvreté (enfants, conjoints, retraités compris) soit 8 millions de personnes.
Notre économie détruit des centaines de milliers d'emplois par an et notre problème est l'assistanat ?

Mais sur ce point, nous n'avons pas touché le fond. Face au chômage, les économistes mettent en avant 3 catégories de solutions: 
- le partage du temps de travail pour faire profiter à tous les gains de productivité, 

- le protectionnisme ou les limites au libre-échange et à la mise en concurrence des travailleurs du monde entier,  

- le retour de la compétitivité par, à court terme, la baisse des salaires à la manière de l'Allemagne et à long terme, une réforme de la formation (sic) et une adaptation de nos entreprises aux marchés mondiaux. Les articles relatifs à ces arguments sont légion.

Mais en cette période d'élections présidentielles, nos politiques se cantonnent à un démagogique Produire en France ou Acheter français et à l'écoute de cette ânerie, deux jugements à leur encontre peuvent nous emporter : sont-ils aveugles ou nous prennent-ils pour des abrutis ?
Sont-ils pour un regain de compétitivité immédiat de la France par une pression accrue sur les bas salaires, histoire de gonfler nos statistiques sur la pauvreté ? Ou optent-ils désormais pour un retour du protectionnisme tant décrié, ringardisé, après nous avoir vendu, fait voter puis passer de force une constitution européenne basée sur la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux entre pays de l'Union voire dans certains cas des pays tiers (Article 56) ?


Difficile donc de nous faire croire que nous ne pouvons plus soutenir un Etat-Providence tant la Providence semble nous avoir quittés il y a quelques temps déjà. Mais ne fermons pas les yeux sur la situation actuelle et ne nions pas que nous n'avons plus les moyens... de supporter plus longtemps les conséquences des politiques néo-libérales.

Soyons ici plus rapide en laissant le choix au lecteur de s'énerver dans une foire de liens plus agaçants les uns que les autres.
Piketty et consorts ont montré la dégressivité de notre système fiscal actuel, ce à quoi le gouvernement a répondu par le très injuste gel des tranches d'impôts sur le revenu pour 2012 et 2013. Les recettes de l'impôt sur le revenu ont baissé de 13% de 2006 à 2009. Elles devraient remonter en accentuant la dégressivité.
L'INSEE a montré que les écarts de niveaux de vie (transferts sociaux compris) entre déciles de population augmentent ces dernières années et que seuls les 10% les plus riches de la population ont augmenté leur part du patrimoine total (si, si, le mode de calcul est assez cynique), notre gouvernement en a profité pour alléger l'impôt sur la fortune en supprimant le bouclier fiscal. Coût global pour le contribuable : -1.3 milliards d'euros et double jackpot pour certains, le bouclier n'étant supprimé qu'en 2013. 
Les niches fiscales grèvent le budget de l'Etat de 75 milliards d'euros par an mais leur mise à plat était annoncée et imminente; juste sur ce point, nous pourrions tenter un exhaustif passage en revue (prélèvement libératoire des plus-values ou des dividendes, abattement, revenus locatifs...) mais laissez-vous porter par un détour sur un ou deux sites de gestion de patrimoine ou de conseils en défiscalisation pour juger de la persistance, de la vitalité et de l'attractivité à peine entamées de nos niches.
Le must de l'information sur les niches fiscales reste le reportage historique de l'émission Là-Bas si j'y suis, qui nous rappelle au bon souvenir d'Eric Woerth.
Là-bas si j'y suis, On achète bien les chevaux, France Inter, octobre 2010.

Ces manques à gagner pour l'Etat était d'une injustice crasse il y a quelques mois encore, mais ils constituent aujourd'hui un non-sens absolu face à l'ampleur de notre déficit. Nous n'avons plus les moyens de supporter cette moins-disance fiscale, mais nous n'avons plus les moyens non plus de continuer à subir le dernier des dogmes libéraux européens : l'indépendance de la BCE et la création monétaire par les banques commerciales. Pas besoin ici de revenir sur ce sujet débattu précédemment, nous rappellerons juste que la charge de la dette (les intérêts payés) pour l'Etat Français en 2011 sera de 47 milliards d'euros avec des taux d'intérêts bien supérieurs aux pays ayant des modes de financement différents.
Mais les successions de craintes de défaut de pays européens et d'ultimes sommets européens Sarkozy - Merkel / crainte de défaut / sommet de la dernière chance... depuis des mois n'aboutissent jamais à une remise en cause du mode de financement de notre dette que les marchés financiers, plus conscients du marasme, appellent de leurs vœux.

De sorte que pour conclure,  nous reprendrons l'excellent article de F. Lordon, à lire absolument, mais aussi celui de C. Chavagneux, économistes de profils pourtant bien différents, pour estimer que ces sommets européens ne résolvent aucun problème, tant ils ne remettent jamais en cause les dogmes néolibéraux que nous n'avons pourtant plus les moyens de supporter.

Chavagneux, C., Le Plan Merkozy sème la zizanie, Blogs d'Alternatives Economiques, décembre 2011
Lordon, F.,  Sur le toboggan de la crise, Le Monde Diplomatique, décembre 2011 (aperçu uniquement, disponible en kiosque).

Enfin, de manière à prévenir les irrémédiables prochaines lectures ou écoutes de discours politiques nous rappelant les sacrifices obligatoires à venir, et de crainte de nouveaux ulcères d'estomac, de migraines intempestives, de coups de têtes contre les murs qu'ils provoqueront sûrement, nous nous devons d'économiser nos moyens, sanitaires et psychologiques, pour survivre, et faire face... à de telles âneries.

lundi 28 novembre 2011

Suivi de Crise

La semaine était presque calme sur le front de la crise, presque.

Le mini-sommet européen n'a débouché sur rien qui permette de dégonfler le service de nos dettes; pas question pour la Banque Centrale Européenne d'acheter nos titres de dettes, ni d'augmenter leur rachat auprès des banques privées, ni de créer des eurobonds. Bref, nos taux font le yoyo avec une tendance globale à la hausse et les élus du peuple ne remettent pas en cause l'indépendance de la BCE.
Sur ce point justement, a-t-on ressorti des placards, une lettre de la BCE datée du mois d'août, au premier ministre italien Silvio Berlusconi. Cette lettre l'enjoignait de réaliser des "réformes d'importance". Comprendre néolibérales habituelles : négociation salariale par accord d'entreprise, "libéralisation totale de tous les services publics locaux", durcissement des conditions d'obtention de la retraite et baisse si nécessaire des salaires des fonctionnaires... 
La BCE donc, de son côté, remet en cause la souveraineté d'un Etat, en indiquant directement au chef de l'Etat la marche à suivre pour que celui-ci honore la "souveraineté de sa signature". Là, M. Trichet veut dire que l'Italie s'est engagée à payer. Marrant de voir quelle souveraineté prime sur l'autre ?
A noter que M. Jouyet et consorts pensent que seule la rigueur peut empêcher l'Italie d'emprunter à 7%.

De quoi apporter du crédit aux idées de Thomas Courtot du Collectif des Economistes Atterrés:

mercredi 16 novembre 2011

Intro actualisée au dernier message

Hier, le taux d'obligations français, c'est-à-dire le taux auquel la France emprunte ou réemprunte de l'argent pour payer ses factures, a atteint un record de 3.66 %.
En une journée, ce taux a grimpé de 0.2% soit, sur un total de 1600 milliards de dettes, 3.2 milliards sur un an perdu... dans la journée !!! Calcul un peu simpliste certes.

Alors, quelle journée ? Comment cela s'est il passé ?

Michel Barnier, commissaire européen représentant notre pays, proposait hier à la commission européenne une série de mesures cherchant à réguler le rôle des agences de notation. Avant cela, coïncidence ?, dès le matin, une banque allemande et un centre d'études européen affirment que la France ne mérite pas son triple A.
M. Barnier se fait recaler  par la commission ; impossible de se mettre d'accord sur ce texte au niveau européen et donc de remettre de l'ordre dans les avis de ces agences, conseils... Le parlement européen lui vote une interdiction temporaire des "CDS à nu". Bonne chose.

Bref, les régulateurs ne font pas leur travail, une officine ou une autre affirme que certains indicateurs laissent à penser que la France n'est pas en bonne santé et logiquement... il faut demander plus cher à l'Etat français pour continuer à lui prêter de l'argent.

Juste pour comparer, les pays qui ne monétisent pas ou que partiellement leurs dettes, et qui connaissent aussi des niveaux d'endettement importants ou plus importants que le nôtre et une croissance faible, empruntent à 2% pour les Etats-Unis et à 1% pour le Japon.

Pendant ce temps, notre président cherche à diviser les Français, à "cliver", entre ceux qui pensent encore que notre situation est due aux fraudeurs de la sécurité sociale et peuvent voter pour lui, et les autres, fraudeurs ou mieux informés ? Annonce à viser purement électorale, ça CLIVE grave.

Comparons toujours, la mesure d'hier sur le quatrième jour de carence rapporte 200 millions d'euros.

dimanche 13 novembre 2011

Suivi de campagne ou suivi de crise ?

Cette semaine aurait dû nous faire doucement rigoler: les sarko boys étaient déchaînés. Copé se fâchait sur le vote des étrangers, le mariage homosexuel faisait s'étouffer notre secrétaire d'Etat à la famille, et l'explosion fratricide des 7 familles de l'UMP guettait...

Mais au lieu de ça, nous avons eu le droit à une centration médiatique sur le regain de popularité de Nicolas Sarkozy dû à son activité sur la scène internationale. "La séquence internationale relance le président..."

Mais quelle kermesse !!! 

Et ce pour deux raisons.

Premièrement, ces "analyses" resservient toute la semaine montrent le fonctionnement de nos grands médias: l'analyse de l'action de nos hommes politiques s'efface devant celle de leur communication. Jamais de fond, toujours de la forme !!

Surtout, ce refus de nous parler du fond montre leur absence de considération à notre égard. Sommes-nous trop imbéciles pour comprendre l'impact des décisions du G20 sur l'économie de nos pays ? Le fait que Angela, Nicolas et Barack se remuent doit-il nous rassurer ? Doit-on se satisfaire du fait que leurs actions aient "rassuré les marchés" ? Notre besoin d'information doit se contenter de cela et nous permettre de dormir tranquille ?

Signalons tout de même les analyses de fond, de haut-niveau, de certains journalistes qui frappent toujours aussi fort par leur enfermement idéologique : la Une du Point, par exemple, nous donne à réfléchir en assimilant l'entrée de la Grèce dans l'Euro à une des grandes erreurs de l'Histoire. Si si regardez; Tordant !! Ou encore cette journaliste politique d'Europe 1: "Les Verts, tellement hostiles au progrès..."

Deuxième raison d'un énervement manifeste face à ce discours "séquence internationale", si analyser la communication de nos représentants politiques et de celle des grands acteurs de la politique économique européenne est une ânerie, ne pas discuter des résultats de leurs actions en est une autre parce que l'on moins que l'on puisse dire en seulement une semaine, c'est qu'ils prêtent à discussion.
Certains économistes en discutent. A eux la parole.

Après une semaine de G20, aux réjouissances sur la possibilité de mise en place aux calandes... grecques d'une taxe sur les transactions financières ont succédé une hausse des taux d'emprunts de nos états.
Oui, le G20 devait sauver le monde et 3 jours plus tard, l'Italie empruntait à 7%, record historique. Faute à son instabilité politique ou faute à Mario Draghi qui en fermant la pauvre petite porte des eurobonds nous envoie tous au casse-pipe (cf billet précédent) ?

M. Harribey réalise un fort bel article sur ce point notamment, et surtout il montre comment nos dirigeants réemploient les mêmes recettes de la crise de 2008 appliquées, à la sphère des dettes publiques.
Très technique, pointu, mais une analyse qui vaut le détour.

Ajoutons à cela deux processus collectifs lancés par cette semaine: le premier mouvement s'intitule "Collectif pour un audit citoyen de la dette publique" et souhaite mettre à jour les processus qui ont amené à la création de la dette, de nos dettes dans chaque institution, chaque administration, chaque collectivité territoriale. Une pétition est en ligne que vous pouvez signer pour appuyer ce mouvement. L'éditorial support sur le site est limpide...

Le deuxième ne constitue pas un lancement mais une belle relance du collectif des économistes atterrés. Site, publications, articles, vous trouverez tout ce qu'il faut ici et des nouvelles d'un beau pays dont on ne parle jamais mais qui connaît un renouveau politique, économique et démocratique: l'Islande... Ces irresponsables qui refusent de payer...

Coriat, B., Lantenois, C., Crise, Faillite et Défaut : Economie et Politique de la Restructuration de la dette islandaise, Site arrerres.org, novembre 2011.

Bref, pendant que nous sommes sensés nous laisser berner par le show médiatique de nos dirigeants, leurs actions et plus encore celle de la BCE font grimper nos taux d'emprunts et nos dettes. Ils nous jouent la carte de l'harmonisation et de la gouvernance mondiale, tout en mettant en oeuvre nationalement des politiques opposées. Choisissons, en France, l'austérité puisque nous vivons au-dessus de nos moyens: ce n'est pas comme si nous comptions déjà 7 millions de travailleurs pauvres et que notre économie détruisait 30 000 emplois par mois.

dimanche 6 novembre 2011

Quelle semaine...

Oui, chers amis, quelle semaine !

Aux oubliettes, Piketty, Montebourg et cie, même si une contre-analyse, facile, du magazine Challenges vaudrait/vaudra le détour.
Les 5 mythes de la démondialisation, Challenges.fr, octobre 2011

Cette semaine, Jean-Claude Trichet est remplacé par Mario Draghi à la tête de la BCE. Celui-ci commence par changer son fusil d'épaule ou plutôt, notre fusil, puisqu'il s'agit de nos outils principaux de politique économique: la BCE diminue ses taux pour relancer l'économie en prenant le terrible risque de l'inflation, honnie depuis des années, mais ferme le ban du refinancement des Etats ; la BCE ne rachètera plus, ou dans une moindre mesure, leurs obligations ! Enorme coup de tonnerre !

Pour bien comprendre, il est utile de rappeler que la France dès 1973 puis l'Union Européenne se sont engagées dans une voie très particulière, peut-être unique au monde: elles se sont auto-interdites de refinancer leurs dettes par des prêts directs de leurs Banques Centrales. La Réserve Fédérale aux Etats-Unis rachètent les bons du Trésor et entretient/grossit sa dette à coût moindre. En Europe, nous empruntons de l'argent (fictif) à des banques privées, à des taux fixés par les marchés. Et quand ces banques n'en ont plus (oui, il y a des règles à la création d'argent fictif), nous prêtons aux banques pour qu'elles nous le reprêtent à un taux supérieur.

Il s'agit là du point fondamental, de l'origine de la crise actuelle. Le Japon emprunte auprès des Japonais (nationalisation de la dette), les Etats-Unis font marcher la planche à billets (monétisation de la dette) et nous, nous aurions résolu le problème de la dette si nous ne payions pas des intérêts à nos créanciers privés depuis des décennies. Ce n'est pas clair ? Le diaporama suivant est très bien fait, même si l'absence de sources n'est pas excusable. Désolé.

Ensuite, Angela et Nicolas jouent les caïds de cour d'école pour interdire à un président élu de consulter son peuple. Passons sur l'absence de souveraineté d'un peuple, Nicolas est un habitué: son premier fait de gloire de président ayant été de s'asseoir sur notre vote pour signer le traité de Lisbonne. Plus grave, nos deux chefs d'Etat font transformer le oui ou non à un mauvais texte, en une question sur la sortie de la zone euro. Sortie qui enverrait la Grèce vers un marasme économique et financier délirant vues les structures de l'économie mondiale actuelle (Combien vaut la drachme nouvelle ? Combien exigera-t-on de dollars ou d'euros pour une drachme sur le marché des changes, pour les importations des produits de base qui ne sont plus produits en Grèce ?). Regardez le tableau suivant qui indique les intérêts actuels payés par la Grèce avec cette histoire de financements auprès des banques. Et Mario Draghi veut en rajouter une couche !

Sur le texte proposé aux Grecs,

Sur les taux payés par la Grèce, oui la fin de la courbe est bien réelle, zoomez pour avoir le détail au jour le jour.

Et un article prémonitoire (18 mois de date) qui porte joliment son nom sur l'orthodoxie allemande :


Puis Barack Obama et Nicolas Sarkozy nous font un sketch de franche camaraderie sur fond de gouvernance mondiale en marche. Barack Obama, la semaine précédente, a été touché par la grâce en relançant l'investissement public et en revenant sur le maintien des baisses d'impôts de Bush destinées aux classes moyennes. Tout est dans la définition des classes moyennes: Bush, et Obama en les reconduisant, avaient assimilées celles-ci aux ménages ayant moins de 250 000 dollars de revenus par an. Obama s'étant grandement écarté, vers la droite, de son programme de campagne, il y revient en cette année de crise économique et électorale. 
Mais Nico et Barack nous la jouent copains de la gouvernance mondiale alors qu'ils ont des stratégies nationales opposés: les Américains misent sur la croissance et l'emploi quand nous misons sur l'austérité !

Et pour finir, Beaudoin Prot, conseiller économique influent de Nicolas Sarkozy,en catimini selon P. Larrouturou, annonce que la BNP voit fondre son bénéfice de 70%. La plus solide des banques françaises, nous disait-on, grâce à son modèle fondé sur une banque de dépôt sérieuse, est surexposée à la dette grecque et, dans le même temps, risque d'être condamné à rembourser l'argent qu'elle aurait reçu des placements de Bernard Madoff.


Décidément, dure semaine...







mardi 25 octobre 2011

Suivi de Campagne 1 : Primaire, Piketty, Montebourg et la démondialisation

Reconnaissons la belle victoire de François Hollande la semaine dernière. Vainqueur d'une primaire dont le niveau de débat a dépassé celui des pâquerettes où nous habituent Copé, Morano, Besson et compagnie.

Mais là n'est pas le sujet. Non, plutôt, le sujet de ces primaires a été l'apparition dans le débat politique de thèmes jusqu'ici oubliés des partis traditionnels, et relégués aux articles d'économistes altermondialistes que personne, sur aucun plateau, n'invite jamais.

En effet, s'il est évident que chacun des 6 candidats de la primaire avait lu en large et en travers, le livre de Thomas Piketty, Arnaud Montebourg a été un peu plus loin en nous lançant à la figure sa démondialisation.

Ce billet propose donc de présenter, de donner à voir, à lire, quelques éléments complémentaires pour gratter derrière le discours politique.

Commençons par la base théorique commune aux socialistes que constitue ce petit livre, forcément rouge:
Pour une révolution fiscale, Landais, C., Piketty, T., Saez, E., Editions du Seuil, 2010.

Piketty n'est pas un inconnu, ni un grand oublié des plateaux télé, mais les lecteurs de Pour une Révolution Fiscale auraient à cœur de le voir plus souvent tant son message mérite d'être relayé. Piketty et consorts montrent à partir des chiffres de la Comptabilité Nationale la structure inégalitaire de la distribution des revenus en France, l'accroissement de patrimoine phénoménal du 1% les plus riches depuis les années 2000 et surtout la destruction du caractère progressif de l'impôt dans notre pays. Ce livre simple, court et très précis est un incontournable pour François, Martine mais pas seulement et le site, complémentaire au livre, vaut le détour, pour vous situer sur l'échelle de revenus d'une part, et pour prendre la mesure des écarts de richesse d'autre part.

Un exemple: à partir de cette page sur la distribution des revenus, nous pouvons nous apercevoir du bernement total de la classe moyenne; classe principale en nombre et cœur de cible électorale (les classes populaires ne votant plus). Cette plus large part de la population a cru, en 2007, au travailler plus pour gagner plus; en un mot, à la méritocratie. Le message sarkozyste était en fait intra-communautaire: il était un petit peu plus long et complexe et signifiait en réalité "travailler plus pour gagner plus... que votre voisin... et ne regarder ni en haut, ni en bas".
Imaginons une rue où 100 Français représentatifs sont installés, du moins riche au numéro 100 au plus riche au numéro 1. Pour Michel, au numéro 44, travailler dur et gagner 300 euros de plus dans l'année, lui permettra de monter d'une maison dans la rue. Par contre au numéro 3, Philippe-Charles devra lui accroître ses revenus (du capital bien souvent) de la paie de Robert sur un an pour monter d'un cran. Ce n'est pas clair ? Non, tant mieux, allez voir Piketty.

Formidable travail que celui de Piketty et consorts donc. Dominique Seu, chroniqueur économiste sur France Inter, lui n'a pas du bien le lire ou le comprendre quand il dit cette énorme ânerie : “Le niveau de vie des 10% de Français les plus aisés est 3,4 fois plus élevé que celui des 10% les plus modestes.”  Le blog de Gilles RAVEAUD vous donnera tous les détails sur cette affaire. 

Piketty pour tous certes, mais Lordon pour Montebourg. Arnaud Montebourg a été piqué par la démondialisation. Pari risqué de communiquer sur ce thème mais pari réussi. Quand l'altermondialisme est socialement mal perçu, associé dans l'imaginaire collectif aux heurts des forums sociaux ou à la décroissance, Montebourg a choisi de communiquer sur le terme de la démondialisation. Peu connu, peu employé, mais un terme relativement clair permettant de relayer des idées qui germent dans la tête des Français; plus ou moins "Indignés" par les inégalités de revenus, la peur du déclassement et la baisse de leur protection sociale et salariale.

Evidemment, Arnaud Montebourg n'a pas inventé la démondialisation sur le coin de sa table en partageant son croissant avec Audrey Pulvar. Ce concept est au coeur de débats altermondialistes depuis quelques mois par revues interposées.

Pour commencer, un collectif d'économistes du réseau ATTAC a commencé l'offensive anti-démondialisation en juin dernier pour contrer la montée de ce thème, notamment dans les discours de l'extrême droite.
La démondialisation, un concept superficiel et simpliste, Collectif ATTAC, Mediapart, juin 2011. 

Frédéric Lordon a alors pris sa plus belle plume pour répondre à ses amis altermondialistes d'un cinglant:
Qui a peur de la démondialisation ?, Lordon, F., La Pompe à Phynance, juin 2011.

Doublé d'un article du Diplo:
La démondialisation et ses ennemis, Lordon, F., Le Monde Diplomatique, août 2011.

Ce à quoi Jean-Marie Harribey, co-auteur du premier article d'ATTAC, a répondu deux éditions du Diplo plus tard:
Sortir de la Crise, par où commencer ?, Harribey, J.-M., Le Monde Diplomatique, octobre 2011.

Ce petit jeu de renvoi de la balle démondialisatrice vous paraîtra très intéressant si les quelques idées de Montebourg ne vous ont pas paru assez développées, et que les réponses des politiques vous ont paru encore plus légères. Comme celle de Michel Barnier qui classe le concept comme réactionnaire. Si Michel Barnier dit réac...

Pour éclaircir le débat entre altermondialistes convaincus (laissons de côté Michel Barnier ou le Front National), nous dirons simplement que la démondialisation oppose les partisans de la souveraineté nationale aux mondialistes.
Le collectif ATTAC est un collectif international luttant pour la distribution des richesses à l'échelle du globe et cherchant à mettre en place des solutions internationales équitables aux problèmes des marchés agricoles ou à ceux de l'accès à la santé. Alors que F. Lordon et consorts ne croient pas à la réalité d'une politique internationale et pense que le niveau de réaction premier est celui de l'Etat. Qu'en attendant une réaction mondiale, nous ne ferons qu'attendre.
Si l'on s'en réfère aux baisses d'impôts encore accordées récemment aux plus hauts revenus, comme en Israël en 2010, il est probable que nous devions attendre longtemps avant d'obtenir un consensus politique autour des thèmes altermondialistes. Celui de Washington faisant encore des émules.

Bref, les économistes convaincus que la répartition des richesses est le cœur du problème divergent sur l'échelon au niveau duquel le régler: au niveau national ou supra-national ? Ils vous donnent de quoi vous faire votre opinion et profiter de bien belles lectures.

Le souci principal reste que leur conviction de départ n'est pas partagée.

Le blog Essai de Réinformation vous proposera durant la campagne présidentielle quelques articles, sans doute plus courts, en réponse à toutes les imbécilités que l'on ne manquera pas d'entendre lors de ce genre de moment politique. Vos propositions sont, elles aussi, les bienvenues.

Nous conclurons vulgairement d'un "on va bien se marrer".






samedi 15 janvier 2011

La Crise : Essai de réinformation

Vous n’avez pas lu grand-chose sur la crise ? Les bouquins d’économie politique vous donnent de l’urticaire ? Ou alors vous avez préféré ne pas savoir… De peur d’avoir des envies de meurtre de banquiers ? De peur de perdre le peu de confiance qu’il vous reste dans nos élites dirigeantes ? Après l’hippodrome de Chantilly, l’amendement Copé-Jacob, la super-niche Copé effectivement…Ou alors, vous vous êtes contentés de lire le dernier bouquin d’Attali présenté chez Denisot et vous avez accepté tant bien que mal : "il faut bien qu’on paye maintenant ; nous n’avons plus les moyens!".

Tout cela peut se comprendre, sauf peut-être d’acheter le dernier bouquin d’Attali. En guise de rattrapage, dans la continuité de notre "abécédaire de la crise", ce billet va tenter de présenter différents travaux d’explication et/ou d’analyse de celle-ci. Il ne s’agit pas de réaliser une revue de littérature complète, mais modestement de présenter différentes lectures qui apportent un regard, divergent de celui des médias classiques, sur les évènements.

Nous nous intéresserons donc à 3 points de vues d’horizons divers ; journalistes ou universitaires, libéraux ou altermondialistes, européens ou américains. Points de vues différents donc mais ces 3 auteurs s’accordent sur un minimum : l’économie financière marche sur la tête et nos dirigeants politiques ne font pas grand-chose pour la remettre sur ses pieds.

Lettre ouverte aux bandits de la finance n’est pas, dès le titre, un travail scientifique empreint de nuance et de pondération. Jean Montaldo réalise toutefois dès juin 2009 un travail explicatif et journalistique pointilleux, dont le premier mérite est de recadrer les responsabilités individuelles des dirigeants de banques privées et centrales. Là où les médias traditionnels se sont contentés d’expliquer la crise par un mécanisme de causes à effets : surendettement – créances non remboursées – chutes des titres, Montaldo frappe très fort pour dénoncer les décisions scandaleuses de certains dirigeants, le mépris complet des signaux d’alarme ou pire encore la recherche ultime d’enrichissement personnel au bord du gouffre en septembre 2008.

Dans le désordre :
- le roi des subprimes, Angelo Mozilo, engrange en 3 ans 900 millions de dollars de revenus personnels au sein de sa banque où ses conseillers clientèles sont des as de la falsification de déclaration de revenus des emprunteurs. Montaldo évoque à l’époque sa foi dans la justice américaine pour faire croupir ce « bandit » en prison. Mauvaise croyance. Le procès de Mozilo prévu en octobre 2010 n’aura pas lieu ; un accord a été trouvé autour d’un arrangement à 87,5 millions de dollars.

- Les directeurs de Fannie Mae et Freddie Mac, Daniel Mudd et Richard Syron, licencient en 2006 et 2007 leur directeur de la gestion des risques. Dans chaque banque, celui-ci les avertit que les prêts que leur établissement para-public rachète à Mozilo et consorts ne sont basés sur aucune étude des revenus sérieuse des emprunteurs et expose l’entreprise à la faillite. Licenciés pour avoir tiré sur le signal d’alarme et pour permettre à leurs patrons de continuer à engranger quelques millions de dollars. Environ 70 millions par an, chacun, (sic) avant la nationalisation de leurs deux banques et une indemnité de licenciement (si, si) de 9,43 millions de dollars lors de la nationalisation.

- Le directeur de Lehman Brothers, Richard Fuld, engrange 500 millions de revenus de 2000 à 2007 pour plonger sa banque vers la faillite. Sentant la mise en faillite du groupe imminente, le conseil d’administration vote un bonus de 20 millions de dollars à ses 3 principaux dirigeants.

- Sans aucune morale non plus, le conseil d’administration de la banque Merryl Linch, sachant le rachat imminent de l’établissement par Bank Of America, vote une prime de 121 millions de dollars à ses 4 plus hauts gradés et 3,6 milliards de bonus à ses 800 cadres. Les pertes de la banque s’élevaient alors à 52 milliards de dollars.

- Richard Bierbaum, trader chez Bear Sterns, banque en faillite aux comptes honteusement tronqués, retrouve une place au Crédit Agricole. Joli recrutement. Six mois plus tard, il fait perdre 250 millions de dollars au CA.

Nous passerons sur les excellents chapitres relatifs aux financements pourris des collectivités territoriales françaises, au rapport alarmiste du FBI sorti dès 2004 ou à la gestion de crise des directeurs des banques françaises. Ce livre rend compte d’investigations poussées et illustrées sur le déroulement de la crise et amène son auteur, libéral convaincu, partisan du candidat Sarkozy en 2007, à s’insurger du fonctionnement du système bancaire et à stigmatiser à juste titre les responsabilités de ses dirigeants. Pointer l’absence totale de morale de certains banquiers apparaît toutefois un peu juste au regard des responsabilités des politiques dans la crise et de l’examen plus poussé d’un ordre économique, lui-même immoral.

C’est dans cette direction que creuse par contre Joseph Stiglitz dans son livre, Le Triomphe de la Cupidité sorti en février 2010. Economiste keynésian, prix Nobel en 2001, l’auteur analyse la crise au regard des politiques économiques mises en place depuis 30 ans. La pensée Stiglitz met en cause de manière systématique le « Consensus de Washington » et ses aberrations dans les politiques de développement (notamment Un autre monde, 2006) ; mais il s’agit ici de montrer que la déréglementation des marchés et des taux d’intérêt, la libéralisation des mouvements de capitaux, le désengagement de l’Etat, principes au cœur du Consensus de Washington, se sont retournés contre l’économie américaine elle-même. Et le pire reste alors à venir, les responsables politiques des administrations Bush comme Obama, ont construit sur ces idées leurs politiques de sortie de crise. Par déni de réalité (i.e. « ces principes ont largement échoué mais continuons de les suivre »), ou par complaisance de classe (i.e. « les politiques néolibérales font bien l’affaire des classes sup-supérieures alors continuons, pour nous, pour nos futurs employeurs, pour les copains »), le consensus devient dogme.

Ainsi résumée la pensée Stiglitz, nous allons nous pencher plus précisément sur une notion au cœur de l’idéologie dominante et du combat de Stiglitz, la Théorie du Ruissellement et son impact dans la crise. La théorie du ruissellement affirme que la croissance doit être encouragée mais que la répartition des richesses ne nécessite pas de régulation ; les richesses créées, si elles sont accaparées par une classe dominante finissent par ruisseler vers les classes populaires par la consommation, l’emploi, l’investissement. Donc pas l’impôt.

Conformément à cette théorie, la politique fiscale des Etats-Unis était… « innovante ». La déduction d’impôts des intérêts d’emprunts, que nous connaissons aussi en France, était progressive. Plus vous empruntez et payez d’intérêts, plus vous déduisez de vos impôts un pourcentage important de ces intérêts. Pourquoi emprunter 300 000 dollars pour votre maison avec un avantage fiscal de 15% alors qu’en empruntant un million, votre avantage fiscal est de 50% ? Cette politique favorise considérablement le secteur non-délocalisable de la construction en incitant les ménages aisés ou moyennement aisés à investir mais fait grimper les prix à une période où les salaires plafonnent. Le salaire médian américain perd 3% en revenus réels entre 1999 et 2005 quand les prix immobiliers grimpent de 42% sur la même période. Quel est le bénéfice pour l’économie d’1 dollar investi ainsi par l’Etat américain ? A qui va rapporter ce déficit fiscal ?

Si ce type de politique assorti à la dérèglementation des marchés financiers a entretenu la bulle et engendré la crise, nous pouvons voir dans la gestion de celle-ci l’impact négatif de la théorie du ruissellement.

Le plan de sauvegarde des banques américaines ou TARP consistait à acheter des actions des banques ou entreprises défaillantes ou des produits bancaires toxiques à hauteur de 700 milliards de dollars. L’auteur remarque que les dollars ainsi investis pour relancer l’économie n’ont fait l’objet d’aucune garantie sur leur ruissellement vers le bas, de Wall Street vers Main Street. Aucune garantie sur la relance du marché du crédit aux entreprises, fondamental pourtant pour le maintien des emplois (8 millions supprimés en 2 ans) ; aucune garantie sur l’arrêt des saisies des maisons des particuliers ou la restructuration de leurs prêts moisis. Quelle est là encore l’efficacité de ce dollar investi ? Sur les 700 milliards investis, Wall Street a négocié l’achat de ses produits toxiques par l’Etat à environ 2 fois leur prix de valeur réelle estimée; pour un dollar investi, l’Etat recevant en moyenne 50 cents en actions. Le risque encouru par le contribuable américain était de 356 milliards ; la dernière estimation du coût global après les reventes des titres par l’Etat est de 30 milliards de pertes.

Moindre perte, mais investir massivement de l’argent dans les conditions définies par le TARP reste d’une bien faible efficacité du point de vue de Stiglitz. A l’inverse protéger l’emploi d’un salarié modeste qui, lui, réinjecte l’intégralité de son salaire dans l’économie, orienter l’aide de l’Etat vers les banques communautaires ou petites banques commerciales directement en lien avec les entreprises, conditionner l’aide à des pratiques de crédit plus morales (fin des prêts ballons, des amortissements négatifs) autant de solutions non envisagées par les administrations Bush et Obama pour des raisons idéologiques, sans parler de grande réforme des marchés financiers. Stiglitz développe des solutions de politiques économiques de régulation et plaide pour l’abandon des politiques néo-classiques comme la théorie du ruissellement.

Un autre argument fort développé par l’auteur reste la proximité des milieux financiers et politiques. Comment comprendre autrement les conditions de rachat d’actions du TARP ? Commet comprendre que le sauvetage d’AIG par l’Etat a d’abord bénéficié à Goldman Sachs pour 13 milliards de dollars ? Que le service de la SEC, gendarme de Wall Street, chargé de la surveillance du marché des CDS au coeur de la crise est vu son effectif chuter à 1 employé ? Qu’Henri Paulson, secrétaire du trésor américain, ancien directeur de Goldman Sachs, obtient du Congrès un chèque de 700 milliards sans contre-partie assurant qu’il ne favorisera pas le milieu dont il est issu ? Stiglitz donne des exemples de cette perméabilité financière et politique et de la force du lobbying bancaire.

Le Triomphe de la Cupidité présente donc des solutions plausibles de régulation de l’économie mais ne remet pas en cause le rapport de force entre le travail et le profit. Sur ce terrain, peu d’économistes s’aventurent de peur d’être taxé de populisme ou ranger dans la catégorie des vieilleries communistes. Frédéric Lordon s’y risque pourtant avec une connaissance pointue de ces dossiers économiques et constitue ainsi une des cautions scientifiques majeures des altermondialistes en France. Directeur de recherche au CNRS, membre actif du collectif des économistes atterrés, Lordon, après avoir montré les désastres causés par la délégation à des intérêts privés de services financiers fondamentaux pour l’économie du pays, présente dans son livre La Crise de Trop (2009) des propositions de reprise en main par l’Etat : contrôle public strict du marché du crédit, service public des encours de crédit, sécurisation des dépôts des clients.

Mais outre cet aspect fondamental, La Crise de Trop renferme deux points forts qui ont retenu l’attention.

Premièrement, Lordon réalise une analyse critique de la pensée dominante nous ayant martyrisé l’esprit à force de « modernisation », de « concurrence loyale et non faussée » et relève les contradictions de nos économistes de plateau-télé. Les énormités de Jean-Marc Sylvestre, Nicolas Baverez, Jacques Marseille, ou Elie Cohen. Un chapitre jouissif mais reprenons rapidement quelques détails sur ce dernier : il plaide dans le Programme Commun de la France en 2006 pour des réformes de l’Etat-Providence musclées à l’image de la Grande-Bretagne ou du Canada, condamne en 2007 le discours d’ultra-gauche ne voulant pas voir la réalité des bienfaits d’une mondialisation en marche (Tribune Socialiste, 2007) pour finir en apothéose par une vision superbe de réalisme fin 2007 : « Dans quelques semaines, le marché se reformera et les affaires reprendront comme auparavant. ». Mais le meilleur de tout reste l’analyse du rapport Attali paru en juin 2008. A mourir de rire Jacques, qui provoque chez Lordon « l’affection touchante des convertis de la dernière heure». Quelques propositions pour le développement de l’industrie financière parisienne, très bien mais sous quelle forme ? Décision 103 : laisser place aux patrons de grandes banques dans les autorités de régulation financière. En plus d’un Paulson français, le rapport préconise « une fiscalité moindre pour attirer les champions de la finance ». Et surtout, décision 305 : « de réorienter massivement l’épargne des français et le régime d’assurance-vie vers des plans épargne en actions », « la montée en puissance de l’épargne retraite individuelle ». Visionnaire alors que les bourses dégringolent déjà, certes encore doucement, depuis 1 an et que l’Islande ayant suivi ces principes s’en mord déjà les doigts. Ce rappel des conneries assénées par nos experts est tordant mais ce qu’il l’est moins, est de voir qu’aucune remise en cause n’a touché les médias traditionnels qui continuent d’inviter ces mêmes experts qui se sont trompés dans les grandes largeurs.

Deuxième axe fort de La Crise de Trop, l’analyse d’un nécessaire arbitrage politique entre rémunération du travail et des profits. Des années 80 à aujourd’hui, la part des salaires dans le PIB a baissé de 10% au profit de la rémunération du capital. Lordon concède qu’un rééquilibrage correct serait de l’ordre de 6-7%, soit pour un PIB français de 2000 Milliards, 140 milliards d’euros quand même. L’ordre économique actuel se caractérise par sa composante concurrentielle forcément faussée ; la mise en concurrence des travailleurs des pays européens ou mondiaux n’a rien d’équilibrée, et par sa composante actionnariale, la législation aujourd’hui est très peu contraignante contre l’accaparement des richesses créées par les détenteurs de la propriété au détriment des créateurs de la richesse, les salariés. Alors là, il serait facile à un de nos experts de caricaturer Lordon comme un dangereux gauchiste, nostalgique des grandes années soviétiques puisqu’il remet en cause le droit à la propriété. Dangereuse caricature là où l’auteur tente de remettre du politique dans l’entreprise et la société, politique au sens noble d’arbitrage entre acteurs d’un groupe (nation, société, entreprise…) par les acteurs eux-mêmes. Grande remise en question, altermondialiste donc, que nous propose le livre de Frédéric Lordon face à ce « capitalisme de basse pression salariale ».

Le reportage ci-dessous lui donne sûrement raison dans sa volonté de déterminer, autrement que par la propriété, la répartition des richesses entre actionnaires et salariés. Il s’agit de « débats» durant l’assemblée générale des magasins Casino entre gérants en grande difficulté (temps de travail, santé, rémunération) et actionnaires heureux des dividendes distribuées par la nouvelle direction de Jean-Charles Naouri, et impatients de se diriger vers le buffet… Jean-Charles Naouri fut un artisan socialiste de la dérégulation des marchés financiers et est aujourd’hui 14ème fortune française. Un reportage vraiment hallucinant.
L'assemblée des Actionnaires, Là-bas si j'y suis, France Inter, juin 2010.

Ce papier voulait répondre à un objectif de présentation de réelles analyses critiques sur la crise et espère avoir suscité votre intérêt sur ces questions. Le choix des ouvrages présentés est lui-même partisan, mais nous avons tenté de retranscrire la pensée des auteurs de façon objective. Vos réactions à une éventuelle déformation de leurs pensées sont les bienvenues, de même que vos présentations d’analyses différentes ou de lectures éventuelles.

Mais puisque nous ne pouvons pas tout présenter, vous trouverez à cette adresse le blog de Frédéric Lordon et ses articles sur son sujet de prédilection, les dettes publiques et ensuite une de ses propositions d’arbitrage entre travail et capital, le SLAM.
Lordon, F., La dette publique ou la reconquista des possédants, La pompe à phynance, mai 2010
Lordon, F., Le SLAM, En débat, Les blogs du Diplo, février 2007

Enfin pour vous informer davantage sur l’idée pas assez développée par les 3 auteurs de la proximité entre milieux politiques et financiers, le film Inside Job constitue l’aboutissement d’un travail de recherche poussé et reste sûrement le moyen le plus agréable de comprendre les rouages de la crise. Par contre, vous risquez de sortir de ce film, un brin… énervé.
Inside Job, Bande Annonce, Charles Ferguson, décembre 2010

Bon film et à vos commentaires.

PS: Les phrases en italiques correspondent à des informations supplémentaires ne relevant pas des ouvrages présentées.
Les mots en gras sont définis dans le papier précédent de ce blog.