samedi 8 mai 2010

Crise du Logement et Marché de l'Immobilier

Il y a quelques semaines déjà la Fondation Abbé Pierre faisait paraître son rapport annuel sur le mal-logement.
Le Rapport du mal-logement 2010, Fondation Abbé Pierre, Février 2010

Ce rapport a mis en exergue une situation catastrophique illustrée par un bilan chiffré alarmant. Il a été le sujet de quelques reportages consensuels, faits d'archives multi-diffusées de l’hiver 54 et d'images de jeunes lycéens travaillant dans des lieux improbables pour échapper à la promiscuité.

La qualité du rapport aurait pourtant du permettre d’éclairer une problématique bien plus intéressante entre la crise du logement et le marché de l’immobilier ; si le logement constitue un bien de première nécessité, il est devenu un objet d’activités spéculatives privilégié depuis 20 ans. L’intensification de ces activités, de marché, a-t-elle eu des effets bénéfiques sur l’accès à ce bien ? Le contenu antérieur du blog vous amène à penser que le point de vue développé, ici encore, ne devrait pas constituer une apologie de la spéculation immobilière. Certes mais la question est vraiment complexe et si la collectivité aurait pu et devrait tirer profit des investissements privés, l’Etat, par les mesures qu’il prend, se tire littéralement une balle dans le pied. A tel point que l’on peut se demander si la recherche de solution face au mal-logement est le but poursuivi.


Mais d’abord quel état des lieux ?
Le bilan chiffré fait part de 100 000 SDF, 510 000 personnes sans domicile personnel... En tout, 3 millions et demi de personnes vivent dans une situation de mal-logement forte, plus 6 millions et demi de personnes vivant en situation de réelle fragilité : insalubrité, surpeuplement accentué, insolvabilité face aux loyers ou emprunts... Au total, 10 millions de personnes soit 17 % de la population française (p.215).

A ces exclus ou quasi-exclus du logement s’ajoute une augmentation inquiétante du poste logement dans les budgets des ménages modestes : les dépenses contraintes liées au logement sont en effet passées de 24 à 48% de leurs revenus entre 1979 et aujourd’hui. La situation s’étant considérablement dégradée ces dernières années ; la somme annuelle moyenne consacrée au logement par ménage est passé en 5 ans (2002-2007) de 7890 euros à 9700 euros soit une augmentation de 23% avec un record pour le locatif privé : +32% (p.34).

Ce surcoût du budget logement entraîne une rétrogradation dans la hiérarchie des statuts résidentiels. En effet, si la proportion de propriétaires a globalement augmenté de 3% en 20 ans, le dernier quart le plus modeste des ménages a vu sa proportion de propriétaires fondre de 47 à 39%. Et ce n’est pas seulement l’accession à la propriété qui pose problème mais l’ensemble des flux résidentiels (p.40) :
- le nombre de retours du parc locatif privé vers le parc locatif social est plus important que le flux inverse, public vers privé.
- Plus nombreux sont les ménages à revenir à la location aujourd’hui qu’à accéder à la propriété.
- Le turn-over dans le parc HLM est tombé à 7,5% contre 11% dans les années 80.
Autrement dit, les chances des familles modestes de voir leurs conditions de logement s’améliorer au cours de leur vie sont aujourd’hui faibles, et elles ont plus de chance de connaître la stagnation ou le déclassement.


Devant cette situation, que fait l’Etat ?
A première vue, pas grand-chose. Ses retours et prélèvements sur le secteur du logement sont plus importants que ses dépenses et cet « excédent logement » est bizarrement en forte augmentation sur les dernières années. Le logement, loin d’être un secteur de dettes, n’est pas une priorité de l’action de l’Etat (p.140).

Les familles modestes perçoivent un sentiment légitime d’abandon par leurs gouvernants. Et pour de multiples raisons.

Premièrement, les loyers plafonds sur lesquels sont calculés les aides au logement sont dépassés dans la très grande majorité des cas, même dans le secteur public. L’aide au logement est donc devenue de plus en plus faible avec l’augmentation des loyers et la non révision des barèmes.

Deuxièmement, les critères d’attribution des aides au logement se durcissent : une personne seule aujourd’hui est exclue des aides si ses revenus dépassent 1,07 SMIC contre 1,15 il y a 8 ans (p.135).

Troisièmement, l’Etat refuse de durcir la législation pour les communes refusant délibérément et année après année, de construire 20% de logements sociaux dans le cadre de la loi SRU. Sur ce problème judiciaire, pas de durcissement pour la récidive.

Enfin, l’Etat se refuse à encadrer davantage les loyers à la relocation. Si un locataire reste dans son logement, le montant de son loyer suit un indice, l’IRL ; le calcul de l’indice a été revu à la baisse il y a quelques années et a profité au locataire. Par contre, lors d’un changement de locataires, rien n’encadre la relocation : le loyer d'un logement, hypothétique, ayant changé d’occupant chaque année lors des 12 dernières années, a augmenté de 8% par an (p.19).


La propension de l’Etat à venir en aide aux plus modestes est donc faible concernant ce bien de première nécessité. Les chiffres du mal-logement et les absences d’actions de sa part en attestent. Les gouvernements successifs ont choisi une autre voie d’action : favoriser l’offre par différentes lois de défiscalisation (Besson, Robien, Scellier) ou mécanismes de prêts (prêt à taux zéro, PLS, PLUS…). Ce procédé en soi n’a rien d’aberrant : un état, endetté, incite des investisseurs à s’engager dans la construction ou la rénovation, ce qui aboutit à augmenter le nombre de logements, et leur fait courir le risque (effondrement du marché, hausse des taux d’intérêts…). Mais les modalités de ces plans mis en place par les gouvernements ont été irrationnelles et finissent par mettre en concurrence des ménages aux richesses bien inégales.

Un exemple. Lors de la crise, l’Etat n’a pas voulu courir le risque que le secteur, majeur, du bâtiment soit en difficulté et a soutenu la construction par la loi Scellier. Contre un plafonnement des loyers, l’Etat offrait de très importantes réductions fiscales. Mais quel plafonnement ? Les loyers, dans la version sociale, sont 50 à 100% plus chers que les loyers-plafonds des HLM (p.178) ; en conséquence, seuls 20 à 25% des ménages ont accès à ces logements et le coût total de l’opération sera de 700 millions d’euros d’exonérations fiscales en 2010, soit plus que les subventions au logement social (p.149, 147, 175, 178).

Les investissements dans le locatif ont donc été les grands gagnants de cette mesure : elle a maintenu les prix à un niveau très haut garantissant les plus-values déjà réalisés par ces investisseurs et a permis à ceux-ci (15% de la population française) de réaliser de nouvelles acquisitions à moindre coût. Les mesures parallèles pour les ménages modestes ou les institutions publiques n’ont pas eu autant d’effet pour faciliter leurs acquisitions et cette différence de traitement a abouti à une mise en concurrence complètement faussée des ménages.


Pour conclure, la crise du logement dans notre pays est devenue particulièrement aigue ces dernières années et les politiques mises en place par l’Etat sont largement insuffisantes pour venir en aide aux plus en difficulté et aux familles modestes. Outre l'Etat, le rapport fait également mention de la gestion apolitique de la question par les collectivités territoriales; les mesures prises par certaines villes de gauche étant parfois aggravantes à l’inverse de quelques villes de droite où des améliorations sont en cours (p.171).

Comme l’indique le rapport, il semble que « entre la crise immobilière et la crise du logement, les responsables politiques ont privilégié la résolution de la première au risque d’oublier la seconde, voire de l’aggraver ».


Au regard des éléments déjà cités, le marché de l’immobilier apparaît comme extrêmement déséquilibré et les rémunérations qui en découlent ne justifient pas d’un service rendu à la collectivité. Dommage pour un bien de première nécessité aux répercussions importantes sur d’autres aspects sociaux et environnementaux : ghettoïsation, étalement des villes, problèmes sanitaires face à l’insalubrité…