samedi 13 mars 2010

Le Honduras ou Benjamin Biolay ?

Les campagnes électorales sont des périodes privilégiées pour nos médias. Pas tant pour le débat politique sur les bilans, les programmes, les budgets mais tout simplement parce que les responsables politiques multiplient lors de ces périodes les interventions et par la même occasion, ils multiplient les âneries, les mensonges gros comme eux ou les aberrations… De quoi alimenter des colonnes de journaux, des heures de JT, des pages de forums.

Rapide inventaire de rappel : la diffamation à l’encontre de Soumaré, les propos de Longuet sur la direction de la Halde, les superbes pensées sarkozystes sur l’urbanisation du littoral ou le splendide « l’environnement, ça suffit », le foutage de gueule de Chatel sur les remplacements d’enseignants. Ou la palme de l'ânerie remportée par un journaliste loin devant les politiques, il fallait le faire : Zemmour et ses dealers.

Rien de très intéressant sauf si vous cherchez, encore aujourd’hui, des preuves de l’opportunisme politique de notre président.
Sarkozy et les zones inondables, retour sur une mini-tempête médiatique, Saint-Remy, P., Libération.fr, Mars 2010

De ces propos de caniveaux ou de ses argumentations où nous sommes délibérément pris pour des innocents, à la limite, mieux vaut en rire et certains le font très bien.
La Chronique de Régis Mailhot, Le fou du roi, France Inter, Mars 2010


Mais avez-vous entendu parler de ce beau pays du Honduras ces dernières semaines et même ces derniers mois ? On ne parle pas de Tegucigalpa où se joue une lutte acharnée pour le développement et la souveraineté . Pourtant vous allez voir, c’est tellement plus intéressant que les polémiques chéries de nos médias.

Le 28 juin 2009, un coup d’état renverse le président Zelaya et le contraint à l’exil. La communauté internationale ne reconnaît pas le pouvoir militaire de Micheletti résultant du coup d’état et Obama en personne condamne le putsch. Mais devant l’impossibilité de remettre en selle Zelaya, la sortie de crise mise sur pied est de procéder à de nouvelles élections. A priori, une solution à moindre frais ? Oui, enfin, c’est un peu plus compliqué que ça.

Quelques éléments de contexte vont nous permettre de mieux appréhender le sujet. Le Honduras est le pays le plus pauvre d’Amérique Centrale. 77% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. La dette du pays s’élevait à 4.8 milliards de dollars en 2003 alors que le FMI avait mis en place de superbes plans d’ajustement structurel dans les années 90 atteignant des sommets de justice sociale en 1999 : une baisse de l’impôt sur les sociétés accompagnée d’une hausse de la TVA de 7 à 12% votée par le gouvernement. Il est toujours préférable de taxer les gens qui meurent de faim, c’est évident.
Résumé de l’actualité du Honduras en 1999, abc-latina.com, 2002

Les revenus sont tirés en partie de l’agriculture, café (22% des revenus d’exportation), banane, maïs et la question centrale en milieu rural est la propriété de la terre. La guerre froide a semé le trouble sur cette question en engendrant une distribution des terres hyper-inégalitaire…

Explications : en 1985, l’administration Reagan cherche à contrer les révolutions bolivariennes ou communistes d’Amérique Centrale, notamment les sandinistes au Nicaragua. Par l’intermédiaire de la CIA, une vente d’armes à l’Iran via Israël (sic) va être mise en place pour récupérer des fonds destinés à financer les forces contre-révolutionnaires: les Contras, basées en partie au Honduras. Le plan une fois mis à jour sera nommé l’Irangate et reste pour partie un mystère…
Affaire Iran-Contra, Wikipedia

Les familles influentes ayant tout à perdre d’une contagion marxiste dans la région vont recevoir cet argent, servir les intérêts des Etats-Unis et vont trouver un secteur extrêmement rentable pour prolonger les financements de leurs opérations, le trafic de drogues, sous le regard approbateur de la CIA. Des fortunes colossales vont se bâtir et permettre d’acheter ou d’exproprier par la force les petits propriétaires, les « sans-terres », aboutissant à une paupérisation de la population rurale hondurienne.

La très particulière mais grandement utile émission « Là-bas si j’y suis », a consacré aux communautés des sans-terre une superbe série de reportage.
Honduras, coup d’état : une résistance héroïque, Là-bas si j’y suis, France-Inter, Mars 2010
Si vous ne connaissez pas du tout l’émission, tendez l’oreille à ce podcast, vous serez surpris.

Ainsi va la vie économique et politique hondurienne depuis des années : une douzaine de familles de propriétaires terriens comptant sur ses propres milices, ses grands médias et ses entrées dans le monde politique, des firmes multinationales recherchant la moins-disance sociale, un Etat inexistant ou corrompu (126ème sur 180 à l’IPC 2008), une partie importante de la population extrêmement pauvre luttant dans l’indifférence générale pour la réappropriation des terres agricoles…


Et voilà Manuel Zelaya, élu en 2005, président libéral adoubé par les grandes familles, les bailleurs internationaux… qui petit à petit remet en cause le modèle : augmentation du SMIC de 60%, fin du monopole de l’exploitation du pétrole par les firmes étrangères installées, programmes de santé et d’éducation mis en place par un rapprochement avec l’Alternative Bolivarienne des Amériques, ensemble d’états (républiques/dictatures) d’Amérique Centrale s’affranchissant de la tutelle états-unienne par des accords de coopération régionale.

En 2009, la Constitution ne lui permettant pas de briguer un deuxième mandat, Zelaya tente de la modifier. Cette action sert de prétexte à un coup d’état visant à renverser le président et la machine politique et diplomatique s’emballe : prise de pouvoir des militaires, mascarades d’élections, réactions de la communauté internationale en demi-teinte, et une mise en grande difficulté de la diplomatie américaine.

Pour aller plus loin,
Mascarade électorale au Honduras, Lemoine, M., La valise diplomatique, Novembre 2009

Nous nous arrêterons là mais toujours est-il que les gouvernements Occidentaux ne mettent pas la même vigueur diplomatique, ou militaire, dans tous les pays du monde pour permettre à la démocratie de triompher !


En conclusion, la situation hondurienne très compliquée mérite un intérêt important de la communauté internationale et un traitement en profondeur de la presse des pays démocratiques. Bien loin du compte, un grand média français de gauche a présenté un article sur le sujet complètement ahurissant de désinformation.
Manuel Zelaya le putsch au crime, Thomas, G., Liberation.fr, Juin 2009

Il aurait sans doute mieux fallu en rester à un éditorial sur la carrière non musicale de Benjamin Biolay ?